mardi 1 novembre 2016

Selon l’ancien directeur du MI6, le monde est confronté à des menaces aussi graves qu’à l’époque de la Guerre froide

Selon l'ancien directeur du MI6, le monde est confronté à des menaces aussi graves qu'à l'époque de la Guerre froide

Source : The Guardian, le 12/10/2016

Selon Sir John Sawers, Moscou a modifié le rapport de forces, mais il critique l’appel de Boris Johnson à aller manifester devant l’ambassade

Sir John Sawers : « Nous ne considérons ni la Russie ni la Chine comme des grandes puissances qui peuvent nous nuire énormément. » Photographie: Elyse Marks/Edelman/PA

Sir John Sawers : « Nous ne considérons ni la Russie ni la Chine comme des grandes puissances qui peuvent nous nuire énormément. » Photographie: Elyse Marks/Edelman/PA

Le monde est confronté à des menaces aussi graves qu’à l’époque de la Guerre froide, a déclaré Sir John Sawers, l’ancien directeur du MI6 : l’Occident, en effet, a quitté la scène en Syrie et ne s’est pas rendu compte du développement de la puissance militaire russe ces 15 dernières années, développement qui aurait demandé l’instauration de nouvelles relations stratégiques avec Moscou.

« Nous sommes dans une époque aussi dangereuse, si ce n’est plus, que celle de la Guerre froide parce que nous ne nous concentrons pas sur une relation stratégique entre Moscou et Washington, » a affirmé Sawers à la BBC mercredi.

D’après lui, l’Occident a besoin de reconnaître que le rapport de forces mondial a changé parce que la puissance militaire de la Russe s’est accrue et qu’elle veut utiliser cette puissance.

Il a aussi reproché au ministre des Affaires étrangères britannique, Boris Johnson, d’avoir appelé à manifester devant l’ambassade russe à Londres, affirmant qu’il fallait penser à la sécurité du personnel diplomatique de l’ambassade britannique à Moscou.

« Nous nous souvenons tous de ce qui  s’est passé dans notre ambassade à Téhéran, » a déclaré Sawers. Une attaque aussi violente sur l’ambassade britannique à Moscou était peu probable, ajouta-t-il, mais « nous devons nous soucier des conséquences des actions qu’on appelle à mener. »

Johnson a appelé à manifester devant l’ambassade russe lors d’un débat aux Communes, mardi, en partie pour critiquer, ne serait-ce que de façon rhétorique, les groupes de gauche comme Stop the War Coalition (Coalition Arrêtons la guerre) pour avoir échoué à dénoncer les bombardements russes sur Alep, la deuxième ville de Syrie. Il a aussi répété les allégations qui accusent les Russes d’avoir attaqué un convoi humanitaire, amenant ainsi le ministre russe de la Défense à taxer son attitude d’« hystérie russophobe ».

Sur le terrain, dans l’est d’Alep assiégé, les résidents ont affirmé que les raids aériens qui emploient de puissantes bombes anti-bunker avaient repris mardi et avaient continué jusqu’à l’aube de mercredi. Selon les médecins, il y a eu 34 morts et 216 blessés pour mardi seulement, et le nombre total des victimes risque d’être plus élevé, certaines familles retirant leurs morts des débris sans les amener dans les hôpitaux locaux. Les frappes aériennes sur le plus grand marché de l’est d’Alep mercredi ont tué au moins 15 personnes, et on craint pour la vie d’autres habitants restés prisonniers des décombres.

Dans son interview à la BBC, Sawers a rejeté les appels pour une zone d’exclusion aérienne qui empêcherait les hélicoptères syriens ou les avions russes de bombarder Alep, arguant qu’elle aurait été sans doute possible il y a trois ou quatre ans, mais que ce n’était plus une idée réaliste aujourd’hui.

« On ne peut pas avoir des forces de l’OTAN ou des forces américaines dans le même théâtre d’opérations que des forces russes sans risquer une confrontation très directe entre les deux. »

Une zone d’exclusion aérienne partielle, a-t-il ajouté, était irréaliste puisqu’elle impliquait aussi un risque de confrontation directe avec la Russie. Sawers doute que la Russie laisse, sans réagir, ses alliés du gouvernement syrien se faire attaquer.

Selon l’ancien directeur du MI6, la décision prise par le Parlement britannique de ne pas intervenir à la suite de l’emploi par la Syrie d’armes chimiques en 2013, et la décision américaine de différer ses frappes avaient laissé l’Occident avec très peu d’options.

« Nous avons abandonné le théâtre d’opérations et les Russes s’en sont emparé, a-t-il dit. Cela a certainement été une erreur. C’est le régime lui-même qui a utilisé des armes chimiques contre des civils à Damas. Nous avons décrété que l’emploi des armes chimiques était un tabou, et quand ce tabou a été violé, nous n’avons pas réagi. »

Plus globalement, soutient-il, l’Occident n’avait pas pris conscience des conséquences du changement dans le rapport de forces ces 15 dernières années, y compris la décision des Russes et des Chinois d’investir dans une puissance militaire plus diversifiée.

« Nous ne considérons ni la Russie ni la Chine comme des puissances importantes qui peuvent nous nuire, » a-t-il affirmé. « Ce que nous devons à tout prix éviter, c’est de nous engager sur une voie qui mènerait à une confrontation directe. »

D’après lui, l’Occident n’a plus, avec la Russie, de cadre de référence clair, comme il y en avait lors de la Guerre froide, pour assurer la stabilité, insistant sur le fait que la Russie, la Chine et l’Occident n’ont pas de règle au sujet de l’emploi légitime de la cyberguerre.

L’absence de communication et d’implication stratégiques ont mené à la crise ukrainienne, affirme-t-il, disant que Vladimir Poutine n’avait pas su lire les signaux qui venaient de Washington, et qu’il était intervenu en croyant déjouer un coup d’État soutenu par l’Occident.

Source : The Guardian, le 12/10/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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