vendredi 25 novembre 2016

Merkel-Fillon ou la glaciation économique de la zone euro, par Romaric Godin

Merkel-Fillon ou la glaciation économique de la zone euro, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 22/11/2016

Quelle sera la politique européenne de François Fillon en cas d'élection ? (Crédits : Reuters)

Quelle sera la politique européenne de François Fillon en cas d’élection ? (Crédits : Reuters)

Le programme de gouvernance de la zone euro de François Fillon est très proche des projets de Wolfgang Schäuble et d’Angela Merkel. 2017 devrait, dans ce cas, préluder d’un retour des politiques perdantes des années 2010-2013.

A quoi ressemblera la gouvernance économique de la zone euro dans un an ? Politiquement, rien n’est évidemment encore certain. Mais, après ce week-end, on peut suggérer une hypothèse quant à ceux qui dirigeront les deux plus importants Etats membres de l’Union économique et monétaire. En Allemagne, la décision d’Angela Merkel de se représenter rend très probable son maintien au pouvoir après les élections de septembre 2017, même si la constitution d’une coalition pourrait être difficile. En France, l’hypothèse d’une victoire de François Fillon à l’élection présidentielle de mai 2017 doit désormais être prise très au sérieux. Ce duo Merkel-Fillon devrait donc prendre les rênes de la  zone euro. Avec quels objectifs ?

Wolfgang Schäuble devrait rester en place

En Allemagne, il y a fort à parier que rien ne devrait changer. Pour la gestion de la zone euro, Angela Merkel fera toujours confiance, dans l’hypothèse de sa reconduction, à son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble. Ce dernier, malgré son âge avancé (74 ans) demeurera sans doute à la Wilhelmstrasse, siège du ministère des Finances. Plusieurs arguments soutiennent cette idée. D’abord, l’homme vient d’annoncer qu’il se représenterait à la députation dans son fief d’Offenburg, non loin de Strasbourg. Cette nouvelle candidature affirme sa volonté de ne pas « décrocher » et donc de conserver un poste à responsabilité après les élections. Or, personne en Allemagne ne dispose d’un prestige équivalent à Wolfgang Schäuble pour diriger les Finances. Il est le ministre qui a réussi à équilibrer les comptes fédéraux pour la première fois depuis 1969. Du reste, aucun allié potentiel futur d’Angela Merkel ne peut prétendre à ce poste stratégique.

La vision allemande de l’avenir de la zone euro

Quelle est la position allemande sur l’avenir de la zone euro ? C’est celle du statu quo. Berlin refuse toute intégration supplémentaire, et notamment toute « socialisation » des dettes ou toute coordination des politiques économiques en dehors de l’ajustement unilatéral des pays en déficit. Dans les jours qui ont suivi le Brexit, les ministres des Affaires étrangères français et allemand avaient proposé d’en finir avec ces deux piliers de la politique allemande. Le projet a été écarté rapidement sur le refus de Wolfgang SchäubleCe dernier a donc logiquement repoussé également la proposition de la commission de donner à la zone euro une impulsion budgétaire de 0,5 % du PIB l’an prochain, impulsion que seule l’Allemagne aurait pu donner dans le cadre actuel et qui aurait été le prélude à la constitution d’un « policy mix », une politique économique de la zone euro. Berlin est également par la voix de son ministre des Finances très critique vis-à-vis de la politique monétaire de la BCE qu’elle juge trop laxiste et trop incitative aux déficits, alors même que le déficit public global de la zone euro est désormais à 1,8 % du PIB et ne cesse de se réduire.

Le projet européen de François Fillon : recentrage sur la zone euro

Face à cette position qui devrait durer après les élections de 2017 dans la mesure où le duo Merkel/Schäuble va perdurer et où cette politique correspond à une conviction profonde du ministre allemand des Finances, déjà énoncé voici vingt ans, quelle sera la position française dans l’hypothèse d’une élection à l’Elysée de François Fillon ? La campagne de la primaire de la droite et du centre n’aura guère permis d’y voir réellement clair dans la mesure où l’Europe a été un sujet quasiment totalement absent des débats.

Pour autant, le nouveau favori de la primaire de la droite et du centre dispose d’un programme européen de deux pages publié en juillet 2016 où il est question de la gouvernance de la zone euro. L’invocation des mânes du Général de Gaulle et de Philippe Séguin, l’ancien mentor de François Fillon, est de pure forme, ainsi que l’appel à la construction d’une « Europe des Nations ». Le candidat annoncé de la droite n’entend pas revenir sur l’euro, mais propose un « projet européen recentré sur la zone euro qui sera engagé dès mai 2017 avec un calendrier précis établi à l’avance ».

Harmonisation fiscale

Cette réforme repose sur l’idée de l’harmonisation des « politiques budgétaires et fiscales » au sein des Dix-Neuf visant à rapprocher « en une dizaine d’années la fiscalité sur les entreprises au sein des Etats membres de la zone euro » débouchant « à terme » sur un Trésor européen « avec mise en commun des dettes ». Pour parvenir à cet objectif, François Fillon compte, comme les deux derniers présidents français, sur le « couple franco-allemand ». D’ici « trois ans », les deux pays devront en effet « se doter d’un impôt sur les sociétés à taux unique, de taux de TVA et d’une fiscalité sur le capital harmonisés ». Un vieux projet, officiellement défendu par François Hollande et Nicolas Sarkozy, mais qui n’a jamais été réellement appliqué compte tenu des différences considérables entre les deux pays en termes de structures fiscales.

De nouvelles institutions

Sur le plan de la gouvernance de la zone euro, François Fillon se veut fidèle à son idée « d’Europe des Nations garante de la souveraineté » et ne propose donc pas un véritable fédéralisme. Le centre du pouvoir devrait demeurer au sein des Etats membres et non au sein de la Commission et du parlement européen. Mais François Fillon veut néanmoins renforcer l’intégration de la zone euro par la création d’un « directoire politique » chargé de « se fixer des objectifs d’harmonisation budgétaire, fiscales et de règles d’endettement », mais aussi par un « véritable gouvernement économique de la zone euro », d’abord au niveau de l’Eurogroupe, mais ensuite à celui des chefs d’Etat. Ce gouvernement se fera sous le contrôle des parlements nationaux. Néanmoins, François Fillon défend la création d’un « secrétariat général de la zone euro complètement autonome de la Commission » qui assurera le suivi et la gestion de la zone économique ». Quant à la BCE, elle sera aussi responsable de « l’emploi et de la croissance ».

Une politique économique unilatérale

Globalement, le projet de François Fillon semble particulièrement proche des conceptions de Wolfgang Schäuble. On constate d’abord une concentration des objectifs sur les « réformes » et l’ajustement budgétaire unilatéral des Etats-membres. L’harmonisation fiscale franco-allemande n’a pas d’autre sens : les taux d’imposition allemands étant inférieurs et peu susceptibles d’être remontée, tout l’effort sera porté par la France et, globalement, par les pays en déficits et aux impositions fortes. Ceci supposera dans ces pays un ajustement violent. La question demeurera de savoir que faire des pays à faible imposition comme l’Irlande, Chypre ou les Pays-Bas. Ces pays refuseront sans doute de casser la poule aux œufs d’or et l’harmonisation risque de demeurer limitée, donc inefficace.

Deuxième élément de proximité avec la vision allemande : l’absence de « centres fédéraux ». La gouvernance de la zone euro demeurera intergouvernementale. Or, la gestion intergouvernementale de la crise a montré ses limites et a prouvé son incapacité à mettre en place une véritable solidarité au sein de la zone euro. Seule exception : le « secrétariat général de la zone euro » proposé par François Fillon ressemble étrangement au « ministre des Finances » de la zone euro de Wolfgang Schäuble qui doit se substituer à la Commission pour imposer réformes et consolidation budgétaire « conformément aux règles ».

Du reste, dans le projet de François Fillon, la gouvernance européenne n’est pas susceptible de traiter d’autres sujets que ceux de l’ajustement budgétaire et fiscal. En complément de la politique accommodante de la BCE, François Fillon n’envisage ainsi pas de relance comme la Commission actuellement, mais des « vraies réformes structurelles », « un calendrier sur la réduction des déficits », « une accélération des réformes structurelles ». Autrement dit, le candidat à la primaire de la droite et du centre propose une politique fortement déflationniste pour compléter la politique reflationniste de Mario Draghi au niveau de la zone euro.

Le retour de la stratégie de Deauville

Quoique très proche des positions de Wolfgang Schäuble, le projet de François Fillon comporte certains éléments inacceptable actuellement par Berlin : l’évolution vers une socialisation des dettes dans un Trésor européen et la mise en place d’une responsabilité de la BCE en termes de croissance et d’emploi. Pour convaincre l’Allemagne – dont, on l’a vu, la politique officielle reste le statu quo – de le suivre, François Fillon propose un « contrat » à Berlin : la France fera des réformes. Cet échange de bons procédés entre les réformes françaises et l’acceptation allemande de plus d’intégration est un des grands mythes de la politique française depuis l’entrevue de Deauville entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel en octobre 2010. Il n’a jamais montré d’autres vertus en termes de politiques européennes que de conduire à des délais de grâce pour la consolidation budgétaire française.

Le jeu perdant du mythe « réformes contre intégration européenne »

En réalité, à ce petit jeu, la France, comme la plupart des autres pays de la zone euro, se place volontairement dans une position de faiblesse dont il est difficile de sortir, car l’Allemagne, qui ne veut pas bouger vers plus de solidarité, se montre constamment insatisfaite. Malgré leurs politiques violentes depuis 2010, ni la Grèce, ni l’Espagne, ni le Portugal n’ont « assez » réformé pour Wolfgang Schäuble… La stratégie de François Fillon ressemble à celle de Nicolas Sarkozy de 2010 à 2012, lorsque lui-même était premier ministre. Le président français n’avait alors réussi à arracher quelques concessions à Berlin, comme le Mécanisme européen de stabilité, qui remplaçait un dispositif existant, le FESF, qu’à un prix élevé, celui du pacte budgétaire et de l’officialisation des politiques d’austérité dans le cadre du MES. Ici, il y a fort à parier que Berlin garde ce qui lui convient dans les propositions de François Fillon en refusant ce qui l’irrite, comme le Trésor européen ou la réforme de la BCE. Le projet Fillon pourrait donc voir le jour, c’est même en réalité le seul possible, puisque c’est le seul acceptable par l’Allemagne. Mais ce sera surtout un projet Schäuble.

Crise inévitable

Avec un tel duo franco-allemand à sa tête, qu’adviendra-t-il à la zone euro ? Toute idée de relance sera abandonnée. Pire même, l’effet de la politique budgétaire en zone euro deviendra franchement négative, avec la France, l’Espagne et l’Italie qui devront mener des politiques restrictives, tandis que l’Allemagne conservera sa position. Rien ne sera fait pour résorber l’excédent courant allemand, rendant l’ajustement unilatéral encore plus complexe. Ce sera une nouvelle « glaciation » de la politique économique en zone euro, alors même que les Etats-Unis, le Japon et le Royaume-Uni relanceront leurs économies et attireront les investissements. Les forces déflationnistes et récessives seront à nouveau libérées, contraignant la BCE à maintenir une politique ultra-accommodante ou à accepter un resserrement des taux dans une nouvelle période d’ajustement budgétaire. Dans les deux cas, les risques d’une nouvelle crise – à laquelle l’euro aura peut-être du mal à survivre – seront beaucoup plus élevés.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 22/11/2016

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