samedi 26 novembre 2016

Les médias ne voulaient pas croire que Trump pouvait gagner ; alors ils ont regardé ailleurs. Par Margaret Sullivan

Les médias ne voulaient pas croire que Trump pouvait gagner ; alors ils ont regardé ailleurs. Par Margaret Sullivan

Pour archive, la réaction du WP à l’élection de Trump…

Source : The Washington Post, le 09/11/2016

Des partisans du candidat républicain Donald Trump applaudissent lors de la soirée électorale du 8 novembre 2016, à New York. (Ricky Carioti - The Washington Post)

Des partisans du candidat républicain Donald Trump applaudissent lors de la soirée électorale du 8 novembre 2016, à New York. (Ricky Carioti – The Washington Post)

Par Margaret Sullivan

Pour parler brutalement, les médias n’ont rien compris à cette histoire. En fin de compte, un grand nombre d’électeurs américains voulaient quelque chose de différent. Et bien que ces électeurs l’aient hurlé et crié, la plupart des journalistes n’ont tout simplement pas écouté. Ils n’ont pas compris.

Ils n’ont pas compris que l’enthousiasme des immenses foules qui se pressaient aux meetings de Donald Trump pourrait vraiment se traduire par de si nombreuses voix. Ils ne pouvaient croire que l’Amérique qu’ils connaissaient pouvait tomber sous le charme de quelqu’un qui se moquait d’un handicapé, se vantait d’agresser sexuellement des femmes, et  débitait des propos misogynes, racistes et antisémites.

Cela serait trop affreux. Ainsi donc, selon une sorte de pensée magique, cela ne pouvait se produire.

Les journalistes, des citadins diplômés universitaires, qui sont, pour une bonne part, des libéraux, ont plus que jamais toutes les chances de vivre et de travailler à New York, à Washington ou sur la Côte Ouest. Et même si nous nous sommes aventurés pendant quelques jours dans les grands États républicains ou avons interviewé des travailleurs de l’automobile au chômage dans la Rust Belt [ceinture de la rouille : régions désindustrialisées, NdT], nous ne les avons pas pris au sérieux. Ou pas suffisamment.

Et Trump, qui traitait les journalistes de racailles corrompues, nous poussait tellement à l’hostilité que nous n’étions pas à même de voir ce qui se trouvait sous nos yeux. Nous nous sommes contentés de vérifier nos sites favoris de sondages pour nous rassurer, même si tout le monde sait que les sondages ne sont pas des votes.

Après tout, on ne sait jamais qui va aller voter, surtout quand des électeurs ont été privés de leurs droits de vote dans des proportions inédites. Et même les pronostiqueurs les plus convaincus de la victoire de Clinton n’excluaient pas totalement une victoire de Trump.

Toutefois, personne n’avait l’air d’en être convaincu. C’est Clinton qui va être élue présidente, telle était l’opinion courante des journalistes, et même si elle a ses défauts, au moins, elle, on sait ce qu’elle vaut. C’était, somme toute, une position plutôt confortable.

Ne vous y trompez pas cependant ! C’est une erreur colossale. Et il n’est jamais agréable de s’excuser platement, mais nous n’avons pas fini de subir les conséquences de notre attitude dans les semaines, les mois et peut-être même les années à venir.

Ce qui est étrange, bien sûr, c’est que les médias aient contribué à donner sa chance à Trump.

Est-ce que les journalistes ont créé Trump ? Bien sûr que non, ils n’ont pas ce genre de pouvoir. Ils l’ont cependant considérablement aidé, en rapportant abondamment ses faits et gestes, sans les analyser, dans les mois qui ont précédé la primaire républicaine. Et aussi en insistant, de façon grotesque, sur tous les développements de l’affaire des emails, y compris le verbiage du directeur du FBI, James B. Comey.

Je n’aime pas beaucoup Peter Thiel, le milliardaire qui a acculé le site Gawker à la faillite en finançant un procès intenté à ce dernier par Hulk Hogan, le lutteur professionnel. En fait, je le trouve même effrayant.

Mais quand il s’est exprimé récemment au National Press Club, il a dit quelque chose qui m’a paru très fin au sujet de Donald Trump.

« Les médias n’arrêtent pas de prendre les propos de Trump à la lettre. Ils ne les prennent jamais au sérieux, mais ils les prennent à la lettre, » a déclaré Thiel. Les journalistes voulaient savoir exactement comment il allait s’y prendre pour expulser autant d’immigrants sans papiers, ou comment il allait débarrasser le monde de l’État Islamique. Nous voulions des détails.

Mais beaucoup d’électeurs raisonnent d’une façon opposée. Ils prennent les propos de Trump au sérieux, mais pas à la lettre.

Ils se rendent bien compte, disait Thiel, que Trump n’envisage pas vraiment de construire un mur. « Ce qu’ils entendent, c’est ça : Nous allons avoir une politique d’immigration plus raisonnable, plus sensée. »

Trump, manifestement, a saisi la colère ressentie par les Américains à propos de problèmes comme le commerce et l’immigration.

Et même si de nombreux journalistes et beaucoup de médias ont publié des articles au sujet de ces Américains, frustrés et privés de leurs droits, nous ne les avons pas pris suffisamment au sérieux.

Et même si, nous les journalistes, nous nous essayons parfois à nous dépeindre comme des cyniques ou des réalistes, il peut aussi nous arriver d’être idéalistes et même naïfs.

Nous voulions vivre dans un pays où la décence et la courtoisie avaient encore de l’importance, et où quelqu’un d’aussi grossier, malveillant et outrancier ne pourrait jamais être élu parce que l’Amérique valait mieux que cela.

Je peux reprocher beaucoup de choses aux journalistes, mais je ne peux pas nous reprocher cela.

Source : The Washington Post, le 09/11/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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