mardi 15 novembre 2016

Blockchain : la finance en a fait sa marotte

Blockchain : la finance en a fait sa marotte

Poussées par la peur de l'ubérisation, les banques investissent dans la blockchain. Reuters/Kacper Pempel/Files

Capable d'ubériser les services financiers mais également de réduire leur coût, les blockchains poussent les banques à investir afin de rester dans la course. L'une d'elles, Ethereum, n'a pas fini de faire parler d'elle.

Il n'a pas vraiment le look d'un financier de haut vol. En guise de costume, il porte un pantalon trop court assorti d'un tee-shirt vert vantant les mérites des logiciels libres. Mais la parole de Vitalik Buterin (22 ans à peine) vaut de l'or. Il faut dire que ce petit génie de l'informatique d'origine russe est en train de révolutionner les échanges numériques grâce à sa technologie, Ethereum.  

Ethereum ? C'est une blockchain : une base de données partagée capable d'enregistrer et de valider des transactions de manière sécurisée, sans qu'il y ait besoin de tiers de confiance. "C'est la même technologie qui a permis de créer le Bitcoin, cette fameuse monnaie virtuelle qui avait connu une ascension fulgurante en 2011", explique Simon Polrot, avocat et créateur du site Ethereum France. A deux grosses différences près. Tout d'abord, Ethereum peut fonctionner sans monnaie virtuelle ; par ailleurs, la blockchain de Vitalik Buterin est programmable. On peut donc l'adapter pour en faire ce qu'on veut : achats, ventes de titres, vérification d'identité...  

Et c'est bien l'ensemble de ces propriétés qui intéresse les banques. "C'est l'occasion rêvée pour elles de reformer en profondeur tout leur back-office, dans lequel elles n'investissent plus depuis longtemps", ajoute Philippe Gelis, le patron de la fintech Kantox. Aujourd'hui, par exemple, les banques utilisent des chambres de compensation pour effectuer des transactions, comme des achats d'actions. Elles sont donc amenées à vérifier que l'acheteur reçoit son titre et que le vendeur est payé. Or ce processus prend encore parfois deux jours. Demain, avec la blockchain, cette même opération ne prendra que quelques minutes et sera beaucoup moins chère.  

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Mais ce n'est pas tout : "La blockchain, qui permet aussi d'automatiser des tâches, pourrait bouleverser les ressources humaines, le management... Il est possible d'imaginer une gestion de paie 'blockchainisée'", prévient Julien Maldonato, directeur conseil industrie financière chez Deloitte. "Pour certains services financiers, on ne vise pas 10% d'économies, mais 50%, voire plus", ajoute-t-il. L'établissement financier Santander a déjà fait ses calculs : grâce à la blockchain, il pourrait - comme toutes les autres grandes banques - économiser de 15 à 20 milliards de dollars par an.  

Pour certaines banques, investir dans la blockchain, une question de survie

On comprend mieux, dès lors, l'intérêt massif des banques pour ce nouveau joujou. "Ce sont elles qui, actuellement, investissent le plus dans ce secteur, en finançant notamment les start-up les plus avancées", confirme Tony O'Donnell, directeur de la recherche et de l'innovation chez Infosys. Vingt-deux grandes banques, dont UBS, Goldman Sachs et JPMorgan, participent ainsi aux projets de la start-up R3, à hauteur de plusieurs millions de dollars.  

La célèbre banquière Blythe Master, à l'origine des CDS (credit default swaps), elle aussi a créé sa start-up dédiée à la blockchain et embarqué dans son projet une quinzaine de fleurons de la finance mondiale, dont BNP Paribas. "Un comble lorsqu'on sait que, au départ, la blockchain et le Bitcoin viennent du monde du logiciel libre et qu'ils doivent servir à ubériser les banques", ironise Philippe Herlin, économiste et essayiste.  

C'est d'ailleurs cette peur de l'ubérisation qui pousse les banques à investir dans la blockchain. "Elles veulent comprendre cette technologie pour pouvoir réagir si une disruption arrive", confie Tony O'Donnell. Elles veulent aussi éviter que l'architecture blockchain ne se développe entre les mains des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon). Investir dans cette technologie est donc, pour elles, une question de survie.  

Encore immature, la blockchain a pourtant un bel avenir devant elle

"Nous avons commencé à nous intéresser à la blockchain dès 2011", raconte Philippe Denis, leader de l'initiative Blockchain CIB chez BNP Paribas. En 2014, la banque a organisé son premier "hackathon" sur le sujet. Dans la foulée, elle a commencé à travailler sur des applications concrètes avec des start-up, avant de se greffer au consortium R3, en 2015. "L'objectif de ce groupement est de mettre au point un protocole commun pour le secteur de la finance", explique Philippe Denis. Concrètement, les banques européennes et américaines se servent de R3 pour mener leurs expérimentations : elles s'échangent des titres virtuels sur leurs serveurs grâce à de la technologie blockchain. Elles se servent aussi d'Ethereum pour concevoir leur propre blockchain privée.  

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"Jusqu'ici, les résultats ne sont pas encore très probants", constate Simon Polrot. Le nombre de transactions à la seconde est encore limité. Mais, surtout, de gros problèmes de sécurité et de confiance demeurent. Cet été, le piratage d'un projet de fonds d'investissement basé sur la technologie Ethereum a fait grand bruit dans la communauté. "Un petit malin avait réussi à introduire discrètement quelques lignes de code lui permettant de se remplir les poches à chaque transaction réalisée par le fonds", raconte Simon Polrot. Depuis, le préjudice a été réparé. Mais l'affaire pourrait instiller le doute chez les investisseurs. D'autant qu'elle rappelle les déboires du Bitcoin, il y a quelques années.  

"La technologie blockchain n'est pas encore mature", reconnaît Laurent Leloup, président de France Blocktech. "Mais on peut imaginer qu'on fera de belles choses avec elle dans le futur", précise l'expert. Ce n'est pas Vitalik Buterin qui dira le contraire. Vissé à l'écran de son PC, il prépare déjà sa prochaine version d'Ethereum, baptisée Metropolis. "A long terme, il sera possible de concevoir un système dans lequel il n'y aura aucune limite au nombre de transactions que le réseau pourra traiter", promet-il déjà. Les banques n'ont pas fini de garder un oeil sur lui.  

Source : L'Express.fr

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