jeudi 22 septembre 2016

Union européenne : la défaite de Bratislava, par Romaric Godin

Union européenne : la défaite de Bratislava, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 19/09/2016

L'Europe est-elle irréformable ? (Crédits : REUTERS/Leonhard Foeger)

L’Europe est-elle irréformable ? (Crédits : REUTERS/Leonhard Foeger)

Le sommet de Bratislava devait relancer l’UE après le Brexit. De ce point de vue, c’est une défaite complète qui pourrait être lourde de conséquences pour l’avenir.

Le bilan du sommet européen de Bratislava du vendredi 16 septembre est terne. Il l’est encore plus lorsque l’on songe à l’objet initial de ce sommet extraordinaire, décidé dans les jours suivants le vote britannique en faveur du Brexit avec comme ambition la « relance » de l’Europe. Les enjeux n’étaient donc pas mineurs. Il s’agissait de savoir comment faire en sorte que le précédent britannique ne se reproduise pas et quel chemin prendra, dans l’avenir, l’Europe. A ces deux réponses, les chefs d’Etats et de gouvernements des 27 pays qui vont rester dans l’Union européenne n’ont pas été capables d’apporter de vrais réponses.

Réformes a minima

Certes, une « feuille de route » a été décidée avec pour ambition d’apporter des « réponses concrètes » afin de ne pas, a-t-on affirmé, rester dans les belles paroles. L’ennui, c’est que la feuille de route est bien mince. Et bien floue. En matière de défense, on prévoit certes quelques avancées : création réelle des unités européennes qui existent déjà sur le papier, création d’un quartier général et un financement commun. Tout cela reste à définir, à préciser et à valider. En matière de sécurité, on n’a guère prévu que l’intensification des échanges de données contre le terrorisme et l’assurance qu’on ne reverra plus de flot de réfugiés comme en 2015. Par quels moyens ? On l’ignore. En matière de jeunesse, de simples bonnes intentions. Tout ceci est évidemment loin d’être à la hauteur des enjeux.

Le surplace économique

Mais nulle part ailleurs qu’en matière économique, ce sommet de Bratislava n’a été un échec flagrant. Le vote britannique sur le Brexit a montré combien une partie de la population, parmi la plus fragilisée par la mondialisation, estimait que l’UE n’était pas en état de les défendre. Ce sont les ouvriers anglais et gallois qui n’ont pas écouté les consignes des Travaillistes qui ont fait basculer le vote. Il convenait donc de répondre à cette situation qui n’est pas propre au Royaume-Uni. Jean-Claude Juncker qui, mercredi 14 septembre, dans son « discours sur l’Etat de l’Union » avait beaucoup insisté sur « l’Europe sociale » avait beaucoup travaillé sur ce thème, semblait l’avoir compris. Mais ce n’est pas le cas du Conseil européen.

La zone euro en panne

Rien n’aura en effet été décidé sur ce sujet, pourtant celui où l’UE est en théorie le plus avancé, donc celui sur lequel sa responsabilité est la plus engagée. Pas un mot sur une éventuelle réflexion concernant la zone euro et sa réforme, pourtant considérée après la crise grecque de l’été 2015 une priorité. En réalité, la poussée d’AfD en Allemagne interdit le dossier tout autant que celle du FN en France. La BCE sera donc plus que jamais seule et contrainte à une fuite en avant monétaire qui prépare à coup sûr la prochaine crise financière, comme vient de le pointer la Bundesbank, alors qu’une action coordonnée avec la BEI permettrait de dynamiser rapidement et sans changer les traités l’économie de la zone euro. On continuera à vouloir lutter contre la déflation en demandant à l’Espagne et au Portugal de nouvelles mesures de consolidation budgétaire, ce qui est contradictoire. On continuera ainsi à réclamer des ajustements unilatéraux, sans s’attaquer aux excédents. En bref : l’occasion est une nouvelle fois manquée et ceci met à terme clairement l’euro en danger.

L’investissement remis à plus tard

Signe de cette volonté de ne rien faire : la prolongation du plan Juncker que le président de la Commission a réclamé le 14 septembre fera l’objet d’une « étude d’impact ». On sait ce plan globalement inefficace, mais la mauvaise volonté du conseil est désormais patent sur ce dossier, car cette « étude d’impact » semble ne laisser que deux options : sa prolongation ou son abandon. Aucune réflexion ne semble engagée pour en modifier les contours et le fonctionnement, notamment par des actions plus ciblées sur les investissements paneuropéens, sur les pays les plus en manque d’investissement et sur des projets plus risquées qui n’attirent pas les investisseurs privés. Du reste, l’UE et la zone euro n’ont pas tant besoin de projets en 2020 que rapidement. Et, de ce point de vue, la réponse de l’UE est bel été bien un niet absolu à tout changement. Pour preuve : l’Europe sociale, Leitmotiv de Jean-Claude Juncker le 14 septembre, est absente de ce sommet de Bratislava.

Impasse à Bratislava

En réalité, dans la capitale slovaque, personne n’était d’accord sur rien. Rien n’aura donc été décidé d’autre que la défense d’un statu quo dont on sait pourtant les dangereuses limites. Si la prise de conscience que, comme l’affirme Angela Merkel, l’Europe est dans une mauvaise passe, est peut-être réelle, l’incapacité des dirigeants à trouver un nouveau souffle est patent. En affirmant vouloir apporter du concret pour éviter de « belles paroles », on a donné ni « belles paroles », ni concret. La réponse n’est donc pas à la hauteur de l’enjeu qu’ils s’étaient eux-mêmes fixer après le 23 juin. Elle confirme l’état d’incapacité de l’UE de répondre aux attentes des citoyens et d’agir pour leurs situations concrètes. Comme souvent, les dirigeants européens se sont faits, ce 16 septembre, les meilleurs alliés des Eurosceptiques.

Stratégie du statu quo

Tout se passe désormais comme si les dirigeants européens considéraient encore que le Brexit était une « bonne leçon » pour ceux qui sont tentés de sortir et qu’il va permettre de réutiliser l’argument du chaos et de la peur pour calmer les mécontentements. Pour le reste, rien n’a besoin de changer. Les dirigeants semblent avoir renoncé à faire aimer l’Europe, se contentant de le laisser être une sorte de « moindre mal ». C’est une stratégie possible, mais qui a déjà montré ses limites puisque, en un an, l’UE a déjà perdu trois référendums, en Grèce, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Surtout, c’est une stratégie qui est hautement risquée : la situation en zone euro pourrait conduire à une nouvelle déstabilisation économique dont la zone euro aura bien du mal à sortir indemne. Déjà, de nouvelles crises se profilent dans les pays « traités » par les programmes d’ajustement comme le Portugal ou la Grèce. Bref, l’UE a utilisé sa bonne vieille stratégie, celle en place depuis 2010 : mettre la poussière sous le tapis et tenter de gagner du temps. Ou plutôt de le perdre.

Le nœud gordien allemand

Le nœud gordien du problème européen est que les Etats ne veulent pas payer le prix de davantage d’intégration et donc de solidarité, mais veulent sauvegarder l’existant. Et le principal Etat concerné par ce nœud, c’est l’Allemagne. Ce pays ne peut prendre le flambeau d’initiatives nouvelles. La situation actuelle lui convient plutôt bien sur le plan économique et sa situation politique lui interdit toute avancée vers l’intégration.

Angela Merkel n’ira pas plus loin. La constitution allemande est un cadre étroit pour toute avancée « fédérale » et il n’est pas question d’ouvrir un débat dont profiterait à coup sûr les eurosceptiques d’AfD qui ne demandent pas mieux pour attirer encore davantage d’électeurs conservateurs que de reprendre le thème de la défense de la politique économique traditionnelle de l’Allemagne et du rejet de l’union des transferts. Aussi se drape-t-elle dans cette posture d’une demande constante de réformes supplémentaires des autres pays pour avancer vers l’intégration. Une stratégie qui est un gage de l’immobilisme de l’UE puisqu’on sait qu’il n’y a « jamais assez » de réformes. Il est donc un peu piquant de voir les Allemands accuser Matteo Renzi, qui réclame une réforme économique de l’UE, de défendre ses intérêts politiques intérieurs.

Une Europe qui apparaît comme irréformable

Avec un tel leader, l’UE ne peut que faire du surplace. D’autant que la France n’est pas loin de se trouver dans la même situation et que François Hollande, désormais obsédé par l’échéance présidentielle, a renoncé à peser en Europe depuis longtemps. Face à ces deux géants défenseurs du statu quo, les autres Etats ont aussi tendance à regarder ailleurs. L’Europe apparaît donc pour le moment comme irréformable. Et la vraie question est donc désormais de savoir si le statu quo augmenté de quelques éléments peut perdurer encore longtemps.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 19/09/2016

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