mercredi 21 septembre 2016

J’ai créé le burkini pour libérer les femmes, pas pour enlever leur liberté, par Aheda Zanetti

J'ai créé le burkini pour libérer les femmes, pas pour enlever leur liberté, par Aheda Zanetti

Article du Guardian journal de référence mainstream de la presse anglaise – mais attention, chose incroyable, il a été traduit en français sur le site même du journal, comme pour s’adresser aux Français. Le tout sans passion – comme quoi les Anglais montrent de nouveau, après le Brexit, qu’ils sont vraiment plus intelligents que nous en termes de capacité de débat et de diffusion des idées…  😉

On lire comme d’habitude ceci avec recul, et, si c’est encore possible (parce que là, certains commentaires commencent à ressembler à ceux du Monde, ça m’interroge…), sans passion – ce n’est pas l’affaire Dreyfus non plus… Donc on respire, tout va bien 🙂

En espérant que vous serez encore d’accord pour qu’on se parle et qu’on s’estime même si on n’est pas d’accord sur ce sujet… (sans que j’ai bien compris pourquoi les gens se fâchent à ce point, vu que j’ai bien dit qu’il y a évidemment des soucis sévères dans certaines banlieues. C’est juste qu’avant de parler des soucis là-bas, il faut peut-être arrêter les propos illégaux qui y versent du napalm dessus au risque de les enflammer, émis par des personnes qui ne proposent d’ailleurs rien de concret et réaliste…)

J'ai créé le burkini pour libérer les femmes, pas pour enlever leur liberté

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Quand j'ai inventé le burkini au début de l'année 2004, je ne cherchais pas à enlever leur liberté aux femmes, je voulais les libérer. Ma nièce voulait jouer au netball, mais nous avions du mal à lui trouver une équipe parce qu'elle portait un hijab. Ma sœur a dû se battre pour défendre le droit de sa fille à jouer. Elle a demandé: pourquoi empêcher cette fille de jouer uniquement parce qu'elle souhaite conserver sa pudeur ?

Une fois qu'elle a finalement été autorisée à joindre l'équipe, nous sommes tous allées la voir jouer pour l'appuyer, et nous avons constaté que sa tenue était complètement inappropriée pour le sport : un polo à manches longues, un pantalon de jogging et son hijab – un ensemble vraiment pas pratique pour le sport. Elle était rouge comme une tomate tellement elle avait chaud !

Une fois rentrée à la maison, j'ai commencé à chercher des tenues plus pratiques pour elle, des tenues de sports pour filles musulmanes et je n'ai rien trouvé. Je savais que je ne trouverais rien en Australie. Cela m'a fait réfléchir, quand j'étais à l'école j'ai raté tout les sports parce que j'avais choisi la pudeur, mais je voulais trouver quelque chose qui permettrait à ma nièce de s'adapter au mode de vie australien et aux vêtements occidentaux, tout en respectant les exigences d'une jeune fille musulmane.

Je me suis assise sur le sol de mon salon et j'ai crée quelque chose. J'ai observé le voile et j'ai enlevé l'excédent de tissu, ce qui m'a rendue un peu nerveuse : ma communauté islamique accepterait-elle cela? Le voile est censé couvrir vos cheveux et votre forme, rien ne doit dévoiler les formes du corps. Ceci marquais la forme du cou. Puis je me suis dit, cela montre la forme du cou, c'est juste un cou, cela n'a pas d'importance.

Avant de lancer la nouvelle tenue, j'ai fabriqué un échantillon et un questionnaire pour savoir ce que les femmes en pensait: le porteriez-vous? Est-ce que cela vous encouragerais à être plus active. À jouer plus de sport? À nager? De nombreux membres de ma communauté n'étaient pas trop convaincus, mais j'ai développé le modèle et cela a été une réussite commerciale.

Le burkini a attiré l'attention du grand public quand Surf Lifesaving Australia à introduit un programme visant à intégrer les filles et les garçons musulmans dans les activités de sauvetage sur plage suite aux émeutes de Cronulla ; une jeune fille musulmane voulait participer à un événement de la compétition. Elle portait un burkini.

Après le 11 Septembre, les émeutes de Cronulla, l'interdiction du voile en France, et les répercussions internationales que cela a eu – nous avons été stigmatisés comme étant des mauvaises personnes à cause de quelques criminels qui ne représentent pas les musulmans – je ne voulais surtout pas que les gens marginalisent les filles qui portent cette tenue. Il s'agit juste de jeunes filles qui souhaitent rester pudiques.

Pour elles il s'agissait d'une volonté d'intégration, d'acceptation et d'égalité, et pas de marginalisation. C'était difficile pour nous à l'époque, la communauté musulmane avait peur de se faire remarquer. Nous avions peur de nous rendre dans les piscines publiques ou à la plage et ainsi de suite, mais je voulais que les filles aient suffisamment confiance en elles-mêmes pour se créer des bonnes vies. Le sport est important, nous sommes australiens ! Je voulais créer quelque chose de positif, quelque chose que toutes les femmes peuvent porter qu'elles soient chrétiennes, juives ou hindous. C'est juste un vêtement pour une personne qui souhaite rester pudique, ou pour quelqu'un qui souffre d'un cancer de la peau, ou pour une nouvelle maman qui ne veux pas porter un bikini : cela ne symbolise pas l'Islam.

Fadila Chafic, australienne et musulmane, et une instructrice de natation, dans une piscine à Sydney. Photograph: Jason Reed/Reuters

Fadila Chafic, australienne et musulmane, et une instructrice de natation, dans une piscine à Sydney. Photograph: Jason Reed/Reuters

Quand je l'ai nommé burkini, je ne le voyais pas comme une burqa pour la plage. La burqa, c'était juste un mot pour moi ; j'ai passé toute ma vie en Australie, j'avais conçu ce costume de bain et j'avais besoin de lui donner un nom tout de suite. C'était une combinaison de deux cultures ; nous sommes australiens mais aussi musulmans par choix. La burqa ne symbolise rien ici, elle n'est pas mentionnée dans le Coran, et notre religion ne nous demande pas de nous couvrir le visage, c'est un choix personnel. La burqa n'est mentionnée nulle part dans les textes islamiques. J'ai dû rechercher le mot et il était défini comme une sorte de manteau couvrant: à l'autre bout de la gamme il y avait le bikini, alors j'ai combiné les deux.

Toute cette négativité que l'on voit partout en ce moment et ce qui se passe en France me rend triste. J'espère qu'il ne s'agit pas de racisme. Je pense qu'ils ont mal interprété un vêtement qui est complètement positif, il symbolise le loisir et la joie, les bons moments, le sport et la santé, et maintenant on demande aux femmes de quitter la plage et de retourner dans leurs cuisines ?

Ce vêtement est un outil de liberté pour les femmes, et ils veulent leur prendre leur liberté ? Alors qui est pire, le Taliban ou le politicien français ? Ils sont aussi mauvais l'un que l'autre.

Je pense que les hommes n'ont pas à décider de ce que les femmes doivent porter; personne ne nous force, c'est à chaque femme de décider. Ce que vous voyez, c'est notre choix. Est-ce que je me considère comme une féministe? Oui, peut-être. J'aime me tenir derrière mon mari, mais le moteur c'est moi et c'est mon choix. Je veux qu'il reçoive tous les honneurs, mais moi je suis la réussite silencieuse.

J'aimerais être en France pour dire que vous n'avez rien compris. Et n'y a-t-il pas suffisamment de problèmes dans le monde, faut-il en vraiment en créer de nouveaux ? Vous avez pris un produit qui signifie la joie, le plaisir et l'activité physique et vous en avez fait un objet de haine.

Quelles sont les valeurs françaises alors ? Qu'est-ce que vous voulez dire quand vous dites que le burkini n'est pas compatible avec les valeurs françaises ? Liberté ? Vous nous décidez ce que nous devons porter. En nous disant ce que nous ne devons pas faire, vous allez faire renvoyer les femmes à la maison, que voulez-vous que nous fassions alors ? Il y aura des répercussions. Si vous divisez la nation, si vous n'écoutez pas les voix des autres et si vous ne tentez pas de trouver des solutions, il y a des gens qui vont se mettre en colère. Repousser les gens et les isoler, ce n'est pas une bonne politique pour un politicien ou pour un pays.

Je me souviens de la première fois que j'ai essayé le burkini. Je l'ai d'abord essayé dans ma baignoire, il fallait que je sois sûre qu'il marche. Puis j'ai dû l'essayer en plongeant, alors je suis allée à la piscine locale pour tester si le bandeau restait bien en place. Je me suis rendue à la piscine Roselands Pool, je me souviens que tout le monde me regardait, mais qu'est-ce qu'elle porte ? Je suis allée tout droit jusqu'au bout de la piscine, je suis montée sur le plongeoir et j'ai sauté. Le bandeau est bien resté en place, et j'ai pensée, merveille ! Parfait !

C'est la première fois de ma vie que j'ai nagé en public, et c'était absolument merveilleux. Je me souviens parfaitement de la sensation. Je me suis senti libre, je me suis senti émancipée, je sentais que la piscine m'appartenait. J'ai marché jusqu'au bout de la piscine avec les épaules bien droites.

Plonger dans l'eau est une des sensations les plus fantastiques. Et vous savez quoi? Je porte un bikini sous mon burkini. J'ai le meilleur des deux mondes.

Source : The Guardian, Aheda Zanetti, 26-08-2016

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«On écrit pas mal de choses sur le burkini mais nous n’en avons pas vu beaucoup» par Fanny Arlandi

Source : Slate, Fanny Arlandis, 24.08.2016

Une tunisienne portant un burkin

Une tunisienne portant un burkin” se baigne avec un enfant, le 16 août 2016 sur la plage de Ghar El Melh, près de Bizerte, au nord-est de Tunis. FETHI BELAID / AFP

Aucune des grandes agences de presse n’a pu prendre de photos de femmes en burkini en France… faute d’en trouver.

Le mardi 23 août, une femme portant un simple hijab a été sommée par la police municipale de quitter une plage de Cannes ou de payer une contravention, faisant une nouvelle fois rebondir la polémique sur les arrêtés municipaux interdisant le port du burkini sur les plages. Depuis la validation, dix jours plus tôt, de l'arrêté municipal cannois, celle-ci est largement relayée par la presse. Pourtant, les articles publiés dans les journaux sont bien difficiles à illustrer alors que mardi, 21 communes concernées sur 26 n’avaient toujours procédé à aucune verbalisation.

«On écrit pas mal de choses sur le sujet, mais nous n'avons pas vu beaucoup de burkinis», s’amuse Francis Kohn, directeur de la photo à l’AFP. Aucune des grandes agences de presse ne dispose de photographies de femmes portant ce vêtement sur une plage française. Reuters met à disposition trois images réalisées en 2007, en Australie. L'AFP propose des photos prises en Tunisie, en Algérie ou également en Australie, sur des plages ou dans une boutique de vêtements. Et Associated Press n’a qu’une image prise en France, une capture d’écran d’une vidéo prise en août à Marseille.

«Être très chanceux»

L’AFP a envoyé des photographes sur les plages, notamment à Cannes et à Nice, «mais jusqu'à présent, aucun d'eux n'a pu voir de femmes en burkini. Et nous ne pouvons pas mettre des photographes en permanence sur toutes les plages», continue le directeur de la photo.

Associated Press met en avant la même raison: il faut «être très chanceux pour trouver une femme se baignant en burkini», explique Laurent Rebours, chef du service photo de l’Associated Press à Paris. Ce dernier complète avec un argument budgétaire:

«Sachant que mon photographe basé à Marseille était en vacances à cette période et que celui basé à Nice était en arrêt maladie, ma direction à Londres n'a pas jugé bon d'engager (et payer) des freelancers à la recherche d'hypothétiques femmes se baignant en burkini, sachant que nous avions en main un visuel via la capture d'écran d'une vidéo avec le nom et l'age de la personne filmée.»

Trois femmes

Certain(e)s photographes ont cependant réalisé des reportages sur le sujet. C’est le cas d’Eléonora Strano pour Le Monde ou de France Keyser, envoyée par Libération à Marseille le 16 août. Cette dernière raconte s’être rendu «sur la plage des Catalans. C'est une plage où tout le monde va, avec une vraie diversité de personnes. Comme pour n'importe quel reportage, je vais discuter avec les gens avant de faire les photos car je photographie au 35 mm. Des femmes ont accepté que je les photographie sur la plage et lorsqu'elles se baignaient en burkini». 

France Keyser a publié sur le site de l’agence Myop cinquante-neuf photos issues de ce reportage (les images sont visibles ici), mais ces femmes n’étaient que «trois, sur des centaines de personnes».

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