mardi 24 mai 2016

Jacques de Bollardière, le général qui refusa la torture

Jacques de Bollardière, le général qui refusa la torture

C’est dingue ça, le militaire le plus décoré de la Résistance a été le seul à avoir dénoncé la torture en Algérie, il a fait 2 mois de forteresse, a viré non-violent puis anti-nucléaire, et je n’avais JAMAIS entendu parler de lui !

On honore les résistants aux nazis, un petit peu moins à ceux contre Vichy (c’est compliqué etc.), mais il ne faut pas faire trop de pub aux militaires qui ont résisté à l’État tortionnaire (en Algérie ou ailleurs)….

Un héros, super connu il y a 50/60 ans :

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et hop, rayé des mémoires !

Après le soldat inconnu, le général inconnu…

La fabrique du crétin, c’est un métier…

Seconde partie du billet sur la quasi-censure du documentaire de 1974 lui ayant été consacré… (dingue, sans Gazut, on n’aurait presque rien sur lui…). Eh, devenez cinéastes les jeunes !

 Le documentaire caché : le général non-violent

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Eh bien comme les grandes chaînes ont caché ce documentaire pendant 40 ans, on va le montrer ici – et je vous encourage à en faire de même…

Source : Youtube, André Gazut

Source : Youtube, André Gazut

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Il y a cinquante ans, le général Jacques de Bollardière condamnait la pratique de la torture

Source : LDH Toulon, 28-11-2007

Jacques de Bollardière est le seul officier supérieur à avoir condamné ouvertement la pratique de la torture pendant la guerre d'Algérie.

En 1957, il tente par tous les moyens de dénoncer “certains procédés” en vigueur dans la recherche du renseignement en Algérie. Sa prise de position publique lui vaut une sanction de soixante jours d'arrêt …

[Mis à part la modification du titre et l'ajout de la brève de L'Humanité du 28 nov. 07,
cette page avait été rédigée en octobre 2001.]

Un carrefour Bollardière à Paris

[L'Humanité du 26 novembre 2007]

Paris va avoir son carrefour Général-de-Bollardière. Il doit être inauguré le jeudi 29 novembre prochain, à 17 heures 30. Il se situera à l'angle de l'avenue de Suffren et de l'avenue de La Motte-Piquet, prés de l'École militaire. La décision a été prise à l'unanimité du conseil municipal. La plaque devrait porter une seule mention : « Compagnon de la Libération ». Ses titres de résistance sont en effet des plus glorieux, étant l'officier français le plus décoré par les alliés. Le nom de Bollardière, cependant, incarne encore l'honneur militaire, et l'honneur tout court, pour un autre théâtre d'opérations. Promis aux plus hautes fonctions, le général de Bollardière eut le courage de dénoncer la torture pendant la guerre d'Algérie, ce qui lui valut deux mois de forteresse. La présence de ceux, Algériens et Français, qui ont été de cette histoire, présence souhaitée par Simone de Bollardière, signifiera que ce combat n'est pas oublié.

Ch. Silvestre
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Jacques Paris de Bollardière est né le 16 décembre 1907, à Châteaubriant. Il sort de Saint-Cyr en 1930.
En 1939, il est lieutenant à la Légion Étrangère dans le Sud marocain ; il reçoit le baptême du feu à Narvick.

Résistant de la première heure, il rejoint l'Angleterre en juin 1940, et participe à tous les combats des F.F.L. avec la 13e Demi-brigade de la Légion Étrangère. En avril 1944, il commande la mission Citronnelle dans le maquis des Ardennes. Jacques de Bollardière a été le soldat le plus décoré de la France libre : grand officier de la Légion d'honneur, compagnon de la Libération, deux fois décoré du DSO (Distinguished Service Order ) …

Après un commandement en Indochine à la tête des troupes aéroportées, il est instructeur à l'École de Guerre. En 1956, il est muté en Algérie, et, en juillet de la même année, il est nommé général.

Jacques de Bollardière tente par tous les moyens de dénoncer “certains procédés” en vigueur dans la recherche du renseignement.

En mars 1957, il demande à être relevé de son commandement en Algérie – sa lettre à Salan lui demandant de le relever :

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Au même moment, Jean-Jacques Servan-Schreiber, redevenu directeur de l'Express, est inculpé d'atteinte au moral de l'armée pour avoir publié plusieurs articles relatant son expérience algérienne et dénonçant l'attitude du gouvernement français. Il demande alors à son ancien chef, de Bollardière, de lui écrire une lettre de soutien ; celle-ci parut dans l'Express du 29 mars 1957 :

Le 21 mars 1957

Mon cher Servan-Schreiber,

Vous me demandez si j'estime que les articles publiés dans « L'Express », sous votre signature, sont de nature à porter atteinte au moral de l'Armée et à la déshonorer aux yeux de l'opinion publique.

Vous avez servi pendant six mois sous mes ordres en Algérie avec un souci évident de nous aider à dégager, par une vue sincère et objective des réalités, des règles d'actionà la fois efficaces et dignes de notre Pays et de son Armée.

Je pense qu'il était hautement souhaitable qu'après avoir vécu notre action et partagé nos efforts, vous fassiez votre métier de journaliste en soulignant à l'opinion publique les aspects dramatiques de la guerre révolutionnaire à laquelle nous faisons face, et l'effroyable danger qu'il y aurait pour nous à perdre de vue, sous le prétexte fallacieux de l'efficacité immédiate, les valeurs morales qui seules ont fait jusqu'à maintenant la grandeur de notre civilisation et de notre Armée.

Je vous envoie l'assurance de mon estime …

Note Berruyer : Il y avait une vraie presse à l’époque…

Sa lettre fait grand bruit et lui vaut, le 15 avril, une sanction de soixante jours d'arrêt à la forteresse de la Courneuve. Après quoi il est mis à l'écart : nommé successivement en Afrique centrale (A.E.F.), puis en Allemagne.

Le putsch d'Alger d'avril 1961 l'amène, à 53 ans, à prendre une retraite prématurée : “le putsch militaire d'Alger me détermine à quitter une armée qui se dresse contre le pays. Il ne pouvait être question pour moi de devenir le complice d'une aventure totalitaire”.

Il s'occupe alors de formation professionnelle des adultes. Quelques années plus tard, il est l'un des fondateurs du Mouvement pour une Alternative non-violente, et publie en 1972 : Bataille d'Alger, bataille de l'homme.

Jacques de Bollardière s'est toujours référé à son éthique chrétienne, pour affirmer le devoir de chacun de respecter la dignité de l'autre. Il a écrit : “La guerre n'est qu'une dangereuse maladie d'une humanité infantile qui cherche douloureusement sa voie. La torture, ce dialogue dans l'horreur, n'est que l'envers affreux de la communication fraternelle. Elle dégrade celui qui l'inflige plus encore que celui qui la subit. Céder à la violence et à la torture, c'est, par impuissance à croire en l'homme, renoncer à construire un monde plus humain.”

Jacques de Bollardière est décédé en février 1986, mais sa veuve, Simone de Bollardière, est l'une des signataires de l'appel des douze : le 31 octobre 2000, douze personnes, dont Henri Alleg qui survécut à “la question” et Josette Audin veuve d'un jeune mathématicien qui succomba, ont demandé une condamnation publique de l'usage de la torture pendant la guerre d'Algérie.

L'inacceptable [1]

« Vers le début de janvier 1957, tout s'accéléra soudain et devint menaçant. Une violente poussée de terrorisme plonge Alger et sa région dans la fièvre. Pour faire face à la situation on met en place une nouvelle organisation de commandement dans laquelle mon secteur se trouve englobé. Le général Massu, commandant la 10ème Division parachutiste, en est le chef. Les pouvoirs civils abandonnent entre ses mains la totalité des pouvoirs de police qu'il décentralise aussitôt jusqu'au dernier échelon de la hiérarchie dans la division parachutiste. […]

Des directives me parviennent, disant clairement de prendre comme premier critère l'efficacité et de faire passer en priorité les opérations policières avant toute pacification. Des femmes musulmanes atterrées, viennent m'informer en pleurant que leurs fils, leur mari, ont disparu dans la nuit, arrêtés sans explication par des soldats brutaux en tenue camouflée et béret de parachutistes. […]

Quelques heures plus tard, je reçois directement l'ordre de faire exécuter immédiatement par mes troupes une fouille de toutes les mosquées du secteur pour y chercher des dépôts d'armes. Je refuse d'exécuter cet ordre reçu dans des conditions irrégulières et que je juge scandaleuses ; j'estime de plus qu'une telle provocation risque de ruiner les efforts de plusieurs mois. Je demande alors à être reçu immédiatement par le général Massu.

J'entre dans son vaste bureau […] Je lui dis que ses directives sont en opposition absolue avec le respect de l'homme qui fait le fondement même de ma vie et que je me refuse à en assumer la responsabilité.

Je ne peux accepter son système qui conduira pratiquement à conférer aux parachutistes, jusqu'au dernier échelon, le droit de vie et de mort sur chaque homme et chaque femme, français ou musulman, dans la région d'Alger…

J'affirme que s'il accepte le principe scandaleux de l'application d'une torture, naïvement considérée comme limitée et contrôlée, il va briser les vannes qui contiennent encore difficilement les instincts les plus vils et laisser déferler un flot de boue et de sang…

Je lui demande ce que signifierait pour lui une victoire pour laquelle nous aurions touché le fond de la pire détresse, de la plus désespérante défaite, celle de l'homme qui renonce à être humain.

Massu m'oppose avec son assurance monolithique les notions d'efficacité immédiate, de protection à n'importe quel prix de vies innocentes et menacées. Pour lui, la rapidité dans l'action doit passer par-dessus tous les principes et tous les scrupules. Il maintient formellement l'esprit de ses directives, et confirme son choix, pour le moment, de la priorité absolue à ce qu'il appelle des opérations de police.

Je lui dis qu'il va compromettre pour toujours, au bénéfice de la haine, l'avenir de la communauté française en Algérie et que pour moi la vie n'aurait plus de sens si je me pliais à ses vues. Je le quitte brusquement.

En sortant de chez lui, j'envoie au général commandant en chef (1) une lettre lui demandant de me remettre sans délai en France à la disposition du secrétaire d'État à la Guerre.

Un faible espoir m'anime encore. Le général Massu n'est pas au niveau de commandement où se conçoit une politique et où se décide l'emploi des forces armées.

Je demande l'audience du Général commandant en chef [2] et du ministre résidant [3]. Je leur parle d'homme à homme et sors de leur bureau tragiquement déçu. J'ai le coeur serré d'angoisse en pensant à l'Algérie, à l'Armée et à la France. Un choix conscient et monstrueux a été fait. J'en ai acquis l'affreuse certitude.

Le lendemain, je prends un avion pour Nantes où m'attend ma famille. »

P.-S.

Le général de Bollardière est le seul officier supérieur qui n'ait pas été réintégré dans ses droits à la suite de la loi de réhabilitation de novembre 1982.

Notes

[1] Extrait de Bataille d'Alger, bataille de l'homme (chapitre 11)
par Jacques de Bollardière – éd. Desclée de Brouwer 1972.

[2] Raoul Salan.

[3] Robert Lacoste.

Source : LDH Toulon, 28-11-2007

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2e documentaire : « Un combat singulier » Portrait du Général de Bollardière

Source : Youtube

Source : Youtube

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Torture Simone de Bollardière : ” Ce général qui a dit non “

Source : L’Humanité, Jean-Paul Monferran, 10-11-2000

Guerre d’Algérie. Entretien avec l’une des signataires de l’appel contre la torture, dont le mari fut le premier officier supérieur à en dénoncer l’usage.

En mars 1957, le général de parachutistes Jacques Pâris de Bollardière – quarante-neuf ans, résistant de la première heure, soldat le plus décoré de la France libre – demande à être relevé de son commandement en Algérie. Il refuse la torture, au nom de ” l’effroyable danger qu’il y aurait à perdre de vue […] les valeurs morales qui, seules, ont fait jusqu’à présent la grandeur de notre civilisation et de notre armée “. Publiée dans l’Express de Jean-Jacques Servan-Schreiber, sa lettre fait grand bruit et lui vaut soixante jours de forteresse. ” Il avait sa conscience pour lui “, et ce temps de détention, ” il l’a mis à profit pour lire, surtout les philosophes “, explique aujourd’hui Simone de Bollardière, sa veuve, qui, ” pour la mémoire du combat de son mari ” et au nom de leur éthique commune, a décidé d’être l’une des douze signataires de l’appel ” à condamner la torture durant la guerre d’Algérie “. Rencontre avec une vieille dame digne, qui appelle un chat un chat…

Dans quelles circonstances avez-vous décidé d’être l’une des signataires de cet appel ?

Simone de Bollardière. Lorsque j’ai été contactée par Charles Silvestre, de l’Humanité, j’ai tout de suite été d’accord pour signer ce texte, surtout quand j’ai vu le nom des autres personnes, que je connais, pour certaines, et que mon mari connaissait aussi. Je me suis dit, sans trop y croire : ” Pourquoi ne pas jeter encore une bouteille à la mer ? ” J’ai donc signé – et pour plusieurs raisons. Tout récemment, j’ai vu le film Warrior, qui montre de jeunes Anglais se retrouvant en Yougoslavie sans y avoir été préparés et qui reviennent totalement chamboulés au bout de six mois, simplement à la vue des horreurs de la guerre. Or, la France, dans le plus grand secret, et sans jamais parler de ” guerre “, a envoyé en Algérie, pendant deux ans et demi, des jeunes de vingt ou vingt-deux ans, qui ont participé à des abominations. Certains ont vu leurs camarades morts, éventrés, et autres choses atroces, mais, eux aussi, ont commis des actes abominables, avec l’autorisation – non dite et non écrite – des autorités, et l’obligation, pour certains, de le faire, sous peine d’être méprisés par des officiers qui sortaient à peine de la guerre d’Indochine. Toute une génération a été sabordée par la guerre d’Algérie : la plupart se sont réfugiés ensuite dans le silence, beaucoup se sont suicidés ou sont devenus alcooliques…

Dans quelles conditions votre mari a-t-il décidé de refuser la torture ?

Simone de Bollardière. Dès que les ordres ont commencé à arriver dans son secteur. Mon mari – vous l’avez mentionné – était le soldat le plus décoré de la France libre. Il a alors écrit – sans permission, mais on n’était pas à l’école maternelle – que la torture était une pratique inadmissible, qui plus est, inefficace. Cela lui a valu deux mois de forteresse, et le reste de l’armée lui a tourné le dos. Ce qui m’a toujours étonnée, c’est que des généraux, des officiers supérieurs, qui se disaient ” bons pères de famille ” et qui, paraît-il, n’auraient pas fait de mal à une mouche, n’aient pas eu alors l’idée que si ce général-là, avec le passé qu’il avait (compagnon de la Libération, deux fois titulaire de la plus haute distinction britannique, etc.) posait une question de cette importance, c’est qu’il y avait un problème que, eux, systématiquement, refusaient de voir en disant : ” Dans mon secteur, il n’y a pas de torture “.

Comment l’expliquez-vous ?

Simone de Bollardière. Je ne l’explique pas.

Comment expliquez-vous alors l’attitude singulière du général de Bollardière, l’un des premiers officiers à rejoindre le général de Gaulle à Londres, en juin 1940 ?

Simone de Bollardière. Permettez-moi d’abord de dire les choses autrement : quand mon mari, alors capitaine, est arrivé à Londres en juin 1940, il ne savait pas qu’il y avait de Gaulle. Il revenait de Norvège, il a pris un bateau en Bretagne, et il comptait poursuivre la guerre comme simple soldat dans l’armée britannique pour combattre les nazis – il n’a jamais dit contre ” les Allemands “. C’est alors qu’il a appris l’existence de de Gaulle… Pour répondre à votre question, je crois que l’expérience de mon mari dans les maquis de la Résistance a beaucoup compté, tout comme sa formation et ses convictions de jeunesse : pour lui, un homme était toujours un homme ; on n’avait pas le droit de faire n’importe quoi à un autre homme, quelles que soient les circonstances. Il m’a raconté que, blessé dans les Ardennes, il avait mis toute son énergie à éviter que deux prisonniers allemands ne soient sommairement exécutés. Ils n’ont finalement été ni fusillés ni martyrisés, et ce sont eux qui l’ont porté sur un brancard pendant plusieurs jours… Il s’est toujours référé à des valeurs morales, au respect de l’autre, à l’éthique chrétienne : ” Tu ne feras pas aux autres “, etc.

Vous savez que, de manière récurrente, se pose, s’agissant de l’Algérie, la question des responsabilités respectives de l’armée et du pouvoir politique

Simone de Bollardière. Le pouvoir civil a été nul : il n’y a eu personne de courageux, pas plus Guy Mollet qu’un autre, personne qui ose dire autre chose que : ” Ce sont les événements d’Algérie “, etc. Quant aux officiers, ils n’avaient en tête que de prendre une ” revanche ” sur l’Indochine. Tout à leur mépris pour les ” Viets ” – comme ils disaient – ils n’avaient rien compris à ce qui s’était passé à Dien Bien Phu. Ils sortaient des ” écoles de guerre “, ils ne pensaient jamais pouvoir être défaits par des gens qui n’avaient que des bicyclettes. La vraie question est : que faisait la France en Indochine, que faisait la France en Algérie ?.

Quels souvenirs gardez-vous de la mise en détention de votre mari ?

Simone de Bollardière. Lui avait sa conscience pour lui : il était bien dans sa peau, il avait le temps de lire, surtout les philosophes, et en particulier Alain, dont il avait été l’élève. Moi, j’ai vécu cela comme une immense injustice – qui m’a, je crois, rendue pour toujours hypersensible à toute injustice, et par exemple, aujourd’hui, au sort des sans-papiers… Je ne supportais pas d’entendre mon mari être traité de ” salaud “, d’homme qui ” avait sali l’honneur de l’armée “, etc. En fait, c’est lui, seul, qui a sauvé alors ” l’honneur de l’armée “… Permettez-moi d’ajouter deux choses, encore plus personnelles : j’ai été très émue à la lecture du témoignage de cette jeune Algérienne qui expliquait que, quelque temps avant d’être torturée, elle avait écouté avec son père une émission, dans laquelle on parlait d’un général qui s’était opposé à la torture, et qu’ils avaient pleuré. Par ailleurs, j’ai toujours été sensible au fait que les Algériens ont toujours su dire, sans l’écorcher, le nom de mon mari ; en France, ce n’est pas le cas, on dit couramment ” La Bollardière “, ou je ne sais quoi… Au fond, j’en suis fière. Il n’y a rien de plus important que d’avoir sa conscience pour soi, de pouvoir se regarder dans la glace chaque matin…

J’imagine que vous avez beaucoup discuté ensemble de la guerre elle-même, du fait de savoir s’il fallait la faire ou non…

Simone de Bollardière. Il ne fallait pas la faire. L’Algérie, c’était le non-droit absolu pour les Algériens, et, dès qu’il y avait ne serait-ce qu’une petite ” réforme ” d’envisagée, les pieds-noirs riches s’y opposaient. Il y avait un mépris total pour l’existence de plus de 80 % de la population… Après l’Indochine, ne croyez-vous pas que des leçons auraient pu être tirées ? Quand nous étions en Indochine avec mon mari, j’allais dans les hôpitaux : il y avait des Algériens, des Marocains, des Africains, que l’on envoyait se battre ” pour la France ” en Indochine, quand eux-mêmes étaient venus nous aider à nous libérer de l’occupant nazi. Il ne faut pas mépriser les gens à ce point : les Algériens, par exemple, ont bien vu le rôle qu’on leur faisait jouer en Indochine, la ” sale guerre ” à laquelle ils étaient contraints. Quand ils sont revenus en Algérie, ils se sont dits : ” Pourquoi, nous aussi, n’aurions-nous pas notre indépendance ? Nous avons aidé les Français à reconquérir leur indépendance contre Hitler, pourquoi n’obtiendrions-nous pas la même chose ? ” C’est un raisonnement logique. Dans l’Évangile, on parle d’un ” peuple à la nuque raide ” : les Français, eux, ont eu la nuque plus que raide. Ils n’ont jamais voulu comprendre – et peut-être encore beaucoup aujourd’hui…

La torture était partout présente ?

Simone de Bollardière. Partout. C’était systématique. Et – je le répète – cela a détruit toute une génération.

La torture a été pratiquée aussi du côté algérien.

Simone de Bollardière. Un pays qui obtient sa liberté et son indépendance dans une violence pareille – avec l’OAS, les barbouzes, les anti-barbouzes, les hommes, les femmes, les enfants tués, massacrés, n’importe où, n’importe quand, n’importe comment – c’est un peuple qui se constitue dans la violence et qui se continue dans la violence. La violence en Algérie, c’est la suite de la guerre d’Algérie – c’est le dominant qui contamine la dominé. La France, vous savez, ce n’est pas très joli… Regardez encore aujourd’hui comment on traite les sans-papiers, comment des formes de torture peuvent encore être pratiquées dans les commissariats. La guerre d’Algérie a généré beaucoup de gangrène : du fait qu’il n’y a pas eu de sanctions, que tout a été toujours caché, qu’il y a eu l’amnistie, que l’on ne peut même pas en parler… Si je dis que Le Pen est un tortionnaire, je n’en ai pas le droit !.

On a beaucoup écrit sur les rapports entre votre mari et le général de Gaulle à cette époque.

Simone de Bollardière. Mon mari n’avait pas de rapports avec le général de Gaulle. Il s’est trouvé ” gaulliste ” parce que de Gaulle était là en 1940. Quant au retour au pouvoir de de Gaulle en 1958, on ne peut pas dire qu’il l’ait apprécié. Lorsqu’il a voulu quitter l’armée – et se disant que de Gaulle avait tout de même représenté quelque chose de très fort, d’essentiel – il lui a demandé audience. De Gaulle lui a dit : ” Que voulez-vous ? ” Mais mon mari ne voulait rien : ni étoile ni poste… Il voulait seulement parler de la situation en Algérie, lui demander ce qu’il comptait faire. Mon mari m’a dit : ” J’ai eu l’impression que nous n’étions pas dans le même monde. ” Il a pris sa retraite après le putsch de 1961, et il s’est occupé, ici en Bretagne, de formation pour les personnes en grande difficulté. Pour remettre le monde un petit peu plus à l’endroit.

C’est tout de même un parcours original ?

Simone de Bollardière. Oui, mais il suit une ligne très droite. Pendant longtemps. Il a écrit : ” J’ai cru que, pour la libération de l’homme, il fallait faire la guerre. Donc, je l’ai faite. Maintenant, je continue pour la libération de l’homme avec d’autres moyens : c’est-à-dire l’éducation et la formation à la non-violence. “.

Comment avez-vous apprécié la déclaration de Lionel Jospin s’engageant à poursuivre le ” travail de vérité ” sur la guerre d’Algérie ?

Simone de Bollardière. J’ai signé ce texte – je crois l’avoir déjà dit – à la fois par amitié pour l’Humanité – que je ne me représente pas avec un couteau entre les dents ! – et lorsque j’ai su qui étaient les autres signataires qui, tous, sont des personnes d’une très haute valeur morale. Dès lors, je me suis sentie moralement obligée à cause de mon mari. Mais, pour dire la vérité, je n’attendais rien de cet appel. Depuis tout ce temps… Tout paraissait tellement bloqué… Aussi, ma stupéfaction a été totale lorsque j’ai pris connaissance de la déclaration de Lionel Jospin. Je me suis dit : ” C’est incroyable. Je ne pensais pas voir cela de mon vivant. ” J’ai eu un bon coup au cour. Cinq jours seulement… Le tout est de savoir maintenant ce qui va suivre. J’aimerais que l’on fasse quelque chose pour tous ceux qui étaient jeunes alors et qui ont été massacrés dans leur être vivant. Et puis que l’on parle de toutes les horreurs. Je n’aime pas beaucoup les États-Unis : mais eux, au moins, ont su parler de la guerre du Vietnam ; McNamara (1) dit aujourd’hui que c’était ” une bêtise “. Puisque nous sommes, semble-t-il, dans l’année de la repentance, que l’État français fasse sa repentance vis-à-vis de l’Algérie ! Et l’Algérie vis-à-vis de la France, car il y a eu, en effet, des horreurs des deux côtés. Mais la France, terre de ” civilisation chrétienne “, vous vous rendez compte !.

Entretien réalisé par.

Jean-Paul Monferran.

(1) Secrétaire à la Défense dans le gouvernement de John Kennedy.

Source : L’HumanitéJean-Paul Monferran, 10-11-2000

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Le général de Bollardière par sa femme

Source : Youtube

Source : Youtube

Interview Simone de Bollardiere 2004

Source : Youtube

Source : Youtube

Le Général par sa femme

Source : Dailymotion


Source : Dailymotion

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Jacques de Bollardière, le général qui refusa la torture – Archive vidéo INA

Source : Youtube, INA, 26-06-2001

Reportage. Portrait du général Jacques PARIS DE BOLLARDIERE, qui refusa d’appliquer la torture pendant la guerre d’Algérie. Des associations se battent pour qu’un film suisse qui lui a été consacré, réalisé en 1974 et intitulé “Le général de Bollardière et la torture”, soit diffusé en France.Le comentaire sur images d’illustration et extraits du film alterne avec les interviews de sa veuve Simone PARIS DE BOLLARDIERE, et d’André GAZUT, réalisateur du film. Images d’archive INA
Institut National de l’Audiovisuel

Source : Youtube, INA, 26-06-2001

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« Général de Bollardière » : un destin face à l’Histoire

Source : Le Télégramme, Benjamin Brehon

Un document exceptionnel sur une des pages les plus sombres de l’histoire de France et, peut-être, une occasion de voir se refermer de vieilles blessures.

Des corps attachés. Des exécutions sommaires. De vaines tentatives de Robert Lacoste, ministre-résident en Algérie à l’époque des faits, pour évacuer le débat. «Général de Bollardière», le film d’André Gazut sorti en 1974, est une bombe. Censuré par l’ensemble des télévisions françaises, ce document exceptionnel retrace la vie de Jacques Pâris de Bollardière, brillant officier de la Légion étrangère qui a quitté l’armée pour n’avoir pas à cautionner l’emploi de la torture. Mais il est bien plus que ça.

Une véritable mise en accusation des pouvoirs civils et militaires pour leur comportement lors des «événements». Chappe de plombSi le film frôle parfois l’hagiographie, nul manichéisme chez son auteur. «Il ne s’agit pas de dire que tous les militaires étaient des tortionnaires, sauf lui, explique André Gazut. D’autres officiers se sont opposés à la torture. Simplement, ils ne l’ont pas dit». Et c’est cette chappe de plomb chez les anciens de l’Algérie, quels qu’aient été leurs rôles à l’époque, que le film cherche à briser.

«Il est très difficile pour un pays d’assumer son passé. Mais tant que le problème n’aura pas été revu au niveau de l’Etat, le malaise persistera, estime-t-il. Il faut dépasser les clivages droite-gauche, civils-militaires, pour en parler. C’est ainsi qu’on pourra en libérer ceux qui l’ont vécu». «Tout le monde savait» Signe que le problème reste sensible, le public mélangé de la projection. Beaucoup de contemporains de la «sale guerre» et d’autres, plus jeunes, sensibilisés par le récent vacarme médiatique autour du livre du général Aussaresses.

André Gazut, lui, se dit «pas étonné» des révélations de ce dernier. «Tout le monde le savait, il n’y a que le gouvernement français qui faisait semblant de ne rien entendre», dénonce en écho Simone de Bollardière, veuve du Général et militante infatigable de la paix. Le choc des images aidant, difficile de l’ignorer une fois la projection terminée. Pas de télé prévueDès 1974, la Suisse, la Belgique et le Canada avaient accepté le document. La télévision nationale algérienne l’a diffusé en mars dernier.

Mais en France, rien n’est encore prévu. Arte serait éventuellement intéressée, des responsables de chaînes ont déjà donné des signes, mais cela n’a pas abouti. Le circuit des cinémas indépendants a pris le relais, et le film tourne beaucoup, les demandes se multiplient. Rien que de normal : «Général de Bollardière» n’est pas un cours d’histoire, c’est un document historique. Rediffusion jeudi à 11 h 30 et vendredi à 21 h à la MJC.

Source : Le Télégramme, Benjamin Brehon

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DIFFUSION EN CATIMINI POUR LE GÉNÉRAL DE BOLLARDIÈRE

Source : Libération, Jean-Dominique Merchet, 10-07-2001

Les grandes chaînes boudent le documentaire sur l’officier antitorture.

L’honneur de la télévision française est sauf. Enfin presque. Dimanche 8 juillet, la Chaîne parlementaire-Assemblée nationale (LCP-AN) a diffusé pour la première fois en France le film d’André Gazut consacré au général de Bollardière. Afin de ne pas cautionner la torture en Algérie, cet officier avait demandé en 1957 à être relevé de son commandement (Libération du 14/06/01). Réalisé en 1974, le film a été projeté à l’époque par les télévisions suisses, belges et canadiennes. Mais jamais par les grandes chaînes françaises, privées ou publiques. «Un étrange oubli», constate LCP-AN.

Depuis l’hiver dernier, ce film a pourtant pu être vu une dizaine de fois, lors de projections privées organisées par des militants engagés contre la torture: à Lyon, Stains, Saint-Nazaire, Grenoble, etc. La dernière d’entre elles s’est déroulée le 25 juin à Paris, au cinéma le Biarritz. Une initiative de plusieurs organisations, dont Reporters sans frontières, la Ligue internationale des droits de l’homme et le «Groupe de douze». Salle comble autour des témoins, Simone de Bollardière ­ la veuve du général décédé en 1986 ­, Germaine Tillion ou Jean-Jacques Servan-Schreiber.

Ce film de cinquante minutes est un remarquable document sur l’itinéraire d’un officier issu de la petite noblesse bretonne et catholique, que rien ne prédisposait à dire «non» à la torture. Rien, sinon sa conscience. Et l’idée, rapportée de la Résistance, que «cela nous emmenait exactement à ce que les nazis avaient fait dans les pays occupés». «Je suis dans la situation paradoxale d’un général non-violent, raconte-t-il. La violence, je la connais. Elle dégrade.» Contre «Bollo», d’autres témoignages. Ceux de la France officielle. Guy Mollet, l’ancien président du conseil socialiste expliquant que la France ne peut torturer puisqu’elle est «le pays des droits de l’homme». Robert Lacoste, ex-ministre résistant SFIO, renvoyant de Bollardière à «sa foi». Massu, tripotant son stylo et expliquant qu’il a «obéi aux ordres». Aucun n’en sort vraiment grandi.

Réalisateur-déserteur. Pour André Gazut, ce film fut plus qu’un travail journalistique. Une affaire personnelle. «Catho de gauche», il avait déserté de l’armée française en 1960 pour ne pas participer à la torture. Infirmier chez les paras, «j’aurais eu à retaper les gars qu’on interrogeait». Réfugié en Suisse, amnistié en 1966, il devient réalisateur à la Télévision suisse romande (TSR). En 1973, il consacre un premier film à la «civilisation de la torture» pour lequel il rencontre le colonel Trinquier, théoricien français de la guerre contre-révolutionnaire. Réalisé à l’automne 1974, le Général de Bollardière et la torture est alors proposé à toutes les chaînes publiques francophones, qui échangent couramment leurs programmes. Silence à Paris. «C’est l’autisme des Français», constate André Gazut. «Invraisemblable!», estime Robert Ménard de Reporters sans frontières. Un autre documentaire d’André Gazut, consacré à Klaus Barbie, connaîtra plus tard le même sort. Il y évoquait une nouvelle fois la torture en Algérie.

Jean-Dominique Merchet

Source : Libération, Jean-Dominique Merchet, 10-07-2001

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Pour conclure, son interview dans l’Express du 19 juillet 1957 après sa sortie de forteresse :

Le combat du général de Bollardière

(…) Mais, mon général, objectait un officier, si on ne petit obtenir de résultats qu’en employant certains procédés pour obtenir le renseignement…

Bollardière : Parlez clairement. Qu’est-ce que vous entendez par “certains procédés” ? Si vous entendez par là simplement la lutte contre l’organisation politico-militaire rebelle, l’arrestation de suspects et la mise hors d’état de nuire des assassins, cela n’a rien que de parfaitement normal… Mais si, par “certains procédés”, vous entendez les moyens que je connais bien pour les avoir vu employer ailleurs : la baignoire, le courant électrique dans les…, etc., alors, parlez clairement et dites : les moyens de torture.

Admettons, mon général, qu’il s’agisse de tortures. Je voudrais vous poser une question. Si en employant ces procédés, vous arrivez à faire une économie de vies humaines. Si vous obtenez, par ces moyens, et rapidement, des renseignements que vous n’auriez pas obtenus autrement et si vous évitez, par exemple, que vingt bombes explosent, qui auraient tué des dizaines de femmes et d’enfants innocents. Ça fait des dégâts, une bombe. Vous avez vu l’autre jour au stade. Sans parler des réactions de la population européenne qui, dans une explosion de fureur panique, peut parfaitement riposter, sans que vous puissiez l’en empêcher, par une véritable Saint-Barthélemy des musulmans. C’est un grave cas de conscience de penser que vous condamnez peut-être des innocents en refusant d’employer des moyens que vous estimez contraires à la morale. C’est très beau du point de vite moral, mais vous vous condamnez à être inefficace. Nous sommes plongés dans une guerre révolutionnaire et nous avons à faire face à une nouvelle forme de la barbarie. Nous devons prendre les moyens nécessaire pour y répondre.

Bollardière : – Enfin, vous n’allez quand même pas confondre la guerre révolutionnaire avec la torture. La guerre révolutionnaire est une guerre dans laquelle la population est l’élément essentiel et l’action que l’on peut avoir sur la population ne se résume pas à la torture. C’est une véritable déviation de l’esprit. Comme si les tortures avaient jamais été un moyen d’arrêter une rébellion. Dites-moi (encore que sur beaucoup de points cela ne soit pas comparable) si la Gestapo a jamais empêché la Résistance d’exister. Pour ma part, quand j’apprenais que les petits gars du maquis étaient passés à la baignoire on qu’on leur avait arraché les ongles et fait je ne sais quoi encore pour les faire parler, cela ne me donnait pas du tout envie de rentrer chez moi. Et c’est précisément contre cela que nous nous sommes battus pendant cinq ans, pour défendre une liberté et une dignité de l’homme. Même si le système était efficace et si chaque individu “soumis à la question” parlait et donnait des renseignements permettant d’éviter des morts et des attentats – vous savez que ça n’est pas le cas et que ça ne peut être le cas – je ne serais tout de même pas convaincu. C’est à mon avis une preuve de faiblesse et d’impuissance et si vraiment on en est réduit là, c’est que nous n’avons plus rien à faire ici. ”

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