mardi 24 mai 2016

Faux frondeurs, vrais suiveurs (billet invité)

Faux frondeurs, vrais suiveurs (billet invité)

Billet invité de l'œil de Brutus


Ainsi donc la motion de censure déposée contre le projet de loi El Khomri a échoué. Le résultat était on ne peut plus prévisible. Encore une fois, les soi-disant frondeurs n'ont pas joints la parole aux actes en refusant d'assumer le choix de destituer le gouvernement de la gauche la plus à droite que l'on n'ait jamais connue. La tragi-comédie qui entoure chacune des motions de censure ne doit pas faire illusion : tout cela relève d'un jeu politicien de bas étage.

Nul doute en effet que Manuel Valls et François Hollande n'auraient jamais risqué la peau de leur gouvernement en lançant le fameux 49-3 s'ils avaient eu le moindre doute qu'aux intentions réelles des ci-devant « frondeurs ». Nul besoin donc de crier à l'atteinte démocratique devant cette utilisation du si décrié 49-3 : si les « frondeurs » étaient réellement opposés à la loi El Khomri, ils se devaient de voter la motion de censure. En se refusant à le faire, ils cautionnent le démantèlement du code travail et l'inversion des normes qui, plaçant le contrat au-dessus de la loi, met les travailleurs en position de faiblesse face au capital tout-puissant des multinationales (car bien peu nombreuses seront les PME qui pourront s'offrir le luxe de mettre en place des contrats d'entreprises. Ainsi, à l'inverse de l'effet prétendument attendu, elles s'en trouveront à devoir lutter à armes inégales contre les grands groupes qui, pour leur part et armés de leurs bataillons de conseillers juridiques et fiscaux, pourront user et abuser des contrats d'entreprises pour pratiquer le dumping social[i]). Et la véritable atteinte à la démocratie, pour le coup, si situe bien ici : en plaçant le contrat au-dessus de la loi, le gouvernement Valls considère que les intérêts particuliers des entreprises se situent au-dessus de l'intérêt général exprimé par la Loi au nom du peuple souverain. Ce nouveau démantèlement de notre démocratie se situe dans la droite lignée du traité de Lisbonne, du TSCG[ii]et en anticipation du TTIP[iii]. Il est à placer en parallèle de l'usage on ne peut plus abusif de l'état d'urgence pour réprimander les manifestations d'opposants[iv].

En refusant de s'opposer effectivement à cette loi, les soi-disant frondeurs s'en sont faits complices. Nul n'est dupe du piteux montage politicien consistant à invoquer le fait que la motion de censure avait été déposée par la droite pour refuser de la voter. Sur d'autres sujets (comme le traité de Lisbonne …), les mêmes n'ont guère d'états d'âme à joindre leurs voix à celles de la droite. Toute cette agitation ne fut qu'artifice, très probablement préparé d'avance tant par Manuel Valls – assuré de la survie de son gouvernement – que par les pseudo-frondeurs – accrochés à leurs sièges et aux prébendes offerts par leur parti –, pour tenter de faire croire qu'il existait encore un vague courant de gauche au sein du parti dit « socialiste ». Une  simple manœuvre politicienne permettant de chasser sur les terres des tout autant pseudos républicains qui s'en trouvent repoussés vers l'extrême-droite et l'ultralibéralismepour se donner l'illusion d'exister tout en tentant de s'assurer une base à gauche qui, faute de mieux, s'en trouvera à rallier le candidat du P « S » au moment des échéances de 2017. Ne nous y trompons pas : lorsqu'il s'agira de sauver ce qui peut l'être – à savoir leurs places – les dits frondeurs sauront aller quérir l'investiture du parti et se rallier derrière François Hollande (ou tout autre candidat de la « gauche de droite »). Si nécessaire, comme cela en devient tristement l'usage dans les démocraties occidentales en fin de cycle, ils en viendront même à se rallier derrière tout autre candidat, de « gauche » comme de « droite », pourvu qu'il leur permette de conserver leurs prébendes.

Il n'y a définitivement rien à attendre du P « S » (ni d'ailleurs des « Républicains » et de leurs affidés). Il faudra s'en souvenir au moment de glisser un bulletin dans l'urne.


Origine de l'illustration : Plantu, LeMonde.fr




[i] Cf.
Les PME n'ont pas besoin de la loi El Khomri (et c'est un patron qui le dit), Arnaud Lelache, Alterecoplus, 20-avr.-16 ;                 
La loi El Khomri contre les petits patrons, Jean-Pierre Crouzet et Michel Chassang, Figarovox, 22-avr.-16.                 
[iv] Si les personnes qui ont été interdites de manifester par décisions administratives avaient effectivement des comportements violents à se reprocher, pourquoi n'ont-elles pas alors fait l'objet de poursuites et placées sous contrôle judiciaire ? De plus, l'inefficacité de ces mesures à l'encontre des réels fauteurs de violence - que l'on a encore retrouvés en marge des manifestations – a été patente.

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