dimanche 22 mai 2016

Censures, par Jacques Sapir

Censures, par Jacques Sapir

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 11-05-2016

Le sectarisme a encore frappé (ou pas). Deux, parmi les « chefs » des « frondeurs », Benoît Hamon et Christian Paul, ont déclaré qu'il n'était pas question pour eux de voter une motion de censure « de droite ». La tentative de déposer une motion de censure « de gauche » ayant visiblement échoué, on devine que ces grands politiques (et leurs suiveurs) s'abstiendront. On ne sait ce qu'il y a de plus détestable dans cette attitude : le sectarisme ou l'hypocrisie. Sans doute les deux.

Du sectarisme en politique

Car, une motion de censure est un acte de défiance envers le gouvernement. Si l'on considère ce gouvernement comme « de gauche », la censure est de droite. Si l'on considère ce gouvernement comme « de droite », elle est de gauche. A partir du moment ou l'on veut voter une censure, c'est cela, et cela seul, qui compte. Qualifier une censure par les députés qui l'ont présentée n'est que pur sectarisme. Car, un acte politique ne prend sens que dans sa réalisation, et non dans son origine. Définir cet acte par qui en est l'origine est absurde, même si, dans le texte de cette motion les termes peuvent être clairement connotés. Au bout du compte, seul le résultat compte !

Mais, ajoutons que pour quelqu'un se disant « de gauche », c'est même une double absurdité que de qualifier un acte par son origine. Non seulement c'est oublier qu'en politique la dynamique d'un acte est primordiale mais en plus c'est sacrifier à un « mythe de l'origine » comme n'importe quel militant identitaire. C'est donc montrer au grand jour que son sectarisme l'emporte sur les intérêts que l'on prétend défendre.

Or, les députés représentent la Nation. Ils doivent donc s'engager sur ce qu'ils pensent et non sur qui a présenté tel ou tel texte. Dans le cas présent, la loi El Khomri divise. On peut l'approuver comme on peut la rejeter. Mais, on aura toujours plus de considération pour qui aura assumé ses choix que pour qui aura laissé le sectarisme prendre le pas sur son choix.

De l'hypocrisie en politique

Mais, on peut ici craindre le pire, et ce pire s'appelle l'hypocrisie. Car, si le sectarisme est une plaie qui défigure l'action politique, l'hypocrisie, elle, en est tout simplement la négation. On peut reprocher à un acteur politique ses erreurs, mais on ne peut lui pardonner l'hypocrisie.

Or, en prétendant défendre ses « valeurs » (et en oubliant qu'en politique on n'a que des principes) le député « frondeur » sait fort bien qu'il laisse passer la loi El Khomri qu'il prétend honnir. En se réfugiant derrière le discours sur une motion de censure « de gauche », il construit un argumentaire de justification qui lui permet d'expliquer son inaction en lui donnant les apparences de la morale. Certes, car Monsieur le « frondeur » a des certitudes, il est opposé à cette loi. Certes, il la trouve rétrograde, inadaptée aux problèmes posés, et fort dangereuse dans un contexte de chômage de masse. Mais il ne peut « en conscience » (très bon cela, coco, que d'invoquer la conscience en un tel moment) voter une motion « de droite ». Et, comme il sait fort bien que le dépôt d'une motion « de gauche » est plus qu'hasardeux, cela va donc aboutir à ce qu'il ne vote aucune motion de censure. Le tour est joué, mais dans la honte et l'ignominie. Cette même personne va, ensuite, s'étonner du discrédit dont souffrent les partis politiques traditionnels, sans même voir que son propre comportement est à l'origine du dit discrédit.2222

Tout est donc dit sur les « frondeurs », sur leur sectarisme, leur hypocrisie et leur lâcheté, sur ce qu'ils sont et ceux qu'ils ne représentent pas. Ajoutons, cependant, que le sectarisme et l'hypocrisie ne se manifestent pas seulement au Parlement. Car, ce sont ces deux maux qui sont aussi à l'œuvre au sein du mouvement social, et en particulier sur la question de l'Euro. On se souvient de ceux qui, n'est-ce pas Fréderic Lordon, défendaient une sortie « de gauche » de l'Euro. Comme si cela avait un sens…Assurément, il y aura débat sur la politique à mettre en place après la sortie de l'Euro, et cette politique pourra être « de gauche » ou « de droite ». Mais, pour que ce débat ait lieu, il faudra d'abord être sortie de l'Euro, et cela n'est ni de gauche, ni de droite. On est pour ou l'on est contre, mais ici aussi, comme sur la question du vote de la censure, vouloir faire parade de sa gauchitude comme pourrait le dire une ministre que je ne nommerai pas, c'est tout simplement faire preuve d'hypocrisie et donc de lâcheté.

Source : Russeurope, Jacques Sapir, 11-05-2016

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