samedi 7 mai 2016

Allemagne : Wolfgang Schäuble propose la retraite à 70 ans, par Romaric Godin

Allemagne : Wolfgang Schäuble propose la retraite à 70 ans, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 22/04/2016

L'Allemagne vieillit et s'interroge : comment payer les retraites en 2030 ? (Crédits : REUTERS/Charles Platiau)

L’Allemagne vieillit et s’interroge : comment payer les retraites en 2030 ? (Crédits : REUTERS/Charles Platiau)

En relançant le débat sur l’âge de départ à la retraite, le ministre fédéral allemand des Finances sape la stratégie de la chancelière et pose un problème grave pour l’avenir du pays.

Depuis quelques semaines, le débat sur les retraites a commencé à s’imposer en Allemagne comme un sujet central qui risque d’être, avec la crise des réfugiés, un des thèmes clé de la prochaine élection fédérale en septembre 2017. Non sans raison. Alors que la politique monétaire de la BCE inquiète les retraités et futurs retraités qui dépendent de fonds de pension gérés par les assureurs, un sondage rendu public par la chaîne publique ARD estime que 57 % des Allemands estiment que les retraites ne sont pas suffisamment sûres. Une inquiétude surtout forte chez les plus jeunes : elle touche 62 % des 18-25 ans. Le fondement de cette inquiétude est évidemment démographique. Selon l’office fédéral des statistiques Destatis, en 2030, un tiers des Allemands aura plus de 65 ans, contre un cinquième aujourd’hui.

Problème démographique et pauvreté des retraités

Ce problème démographique, a souligné récemment Destatis, ne sera pas résolu par l’arrivée du million de migrants en 2015, quand bien même ces derniers demeureraient en Allemagne. Le « déficit naturel », solde entre les naissances et les décès, devrait, en effet, dans les prochaines années, se creuser sous le double coup d’une faible fertilité (environ 1,43 enfant par femme) et d’une mortalité renforcée par le vieillissement de la population. Cette situation pose évidemment un problème pour le système de retraite allemand, compte tenu de la baisse du nombre de cotisants au regard du nombre de retraités.

Le problème qui risque de se poser est celui de la pauvreté des futurs retraités. Selon les prévisions de l’assurance retraite allemande, plus de 25 millions d’Allemands sont menacés de toucher une retraite inférieure au seuil de pauvreté en 2030. Pour passer au-delà de ce seuil, prévoit l’institution, il faudra avoir travaillé 40 ans de façon ininterrompue et toucher au moins 2.097 euros bruts par mois. Or, la flexibilisation du marché du travail outre-Rhin et l’explosion du travail partiel qui touche près de 15 millions de salariés allemands, soit 38,3 % du total, selon les chiffres de l’institut IAB, rendent de plus en plus difficile de telles conditions.

Réformes et contre-réformes

Bref, les retraites sont clairement une menace pour l’Allemagne et la réforme de 2005, engagée par Gerhard Schröder et mise en place par Angela Merkel, qui prévoit le passage de l’âge légal de départ à la retraite à 65 à 67 ans entre 2005 et 2030 risque de ne plus suffire. Face à ce défi, la « grande coalition » entre la CDU/CSU de la chancelière et la SPD sociale-démocrate a longtemps choisi de ne rien faire, contrairement à la légende tenace en France selon laquelle ce type de coalition « permet de réformer ». En réalité, en 2014, la CDU a accepté de permettre des départs à la retraite à 63 ans pour ceux qui ont cotisé le plus longtemps afin d’obtenir l’appui de la SPD sur la politique budgétaire restrictive du gouvernement et sur sa politique européenne. Non pas dans le cadre d’un projet réel, mais uniquement pour gérer l’équilibre interne de la grande coalition.

Travailler plus longtemps ?

Pour le patronat allemand, la solution est toute trouvée : il faut travailler encore plus longtemps, supprimer l’exception des 63 ans et remonter l’âge légal de départ à la retraite en 2030 à 70 ans ou, du moins, le « flexibiliser » à l’évolution démographique. L’idée est aussi défendue par la Commission européenne et l’OCDE, mais la SPD ne veut pas en entendre parler. Pour une raison fort simple : à l’agonie dans les sondages – certains lui attribuent moins de 20 % des suffrages – la formation de centre-gauche tente de se présenter comme défenseur des salariés et des retraités. Il s’agit de corriger l’image issue de la réforme de 2005 qui a été conçue et portée par les Sociaux-démocrates. Angela Merkel, sentant le piège de ce sujet, a tenté, la semaine dernière de lancer une réflexion sur le sujet pour désamorcer le débat. Le but est d’abord de parvenir à un consensus sur une réforme pour que le débat soit clos avant l’élection de 2017. Apparemment, la chancelière n’est pas à l’aise avec ce sujet. Et pour cause : elle ne veut ni s’aliéner les milieux économiques, ni ses alliés de la SPD dont elle a le plus impérieux besoin, alors qu’une partie de la droite doute de plus en plus d’elle.

Wolfgang Schäuble relance le débat

Cette stratégie dilatoire, assez typique de la méthode de gouvernement de la chancelière, a cependant déjà échoué face à l’action concertée de deux de ses « alliés. » D’abord, le ministre-président bavarois, chef de la CSU, sœur de la CDU dans le Land du sud du pays, Hors Seehofer, qui, en début de semaine, a réclamé le passage de la retraite à 70 ans. Et surtout Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral des Finances, très populaire qui, mercredi, s’est également rangé parmi les partisans de la « flexibilisation » de l’âge du départ à la retraite. Immédiatement, le débat s’est rallumé en Allemagne. Sigmar Gabriel, vice-chancelier et ministre de l’Economie a rejeté cette demande comme « cynique » et un appel à « une baisse cachée des retraites. » Et de conclure : « avec la SPD, cela n’aura pas lieu. »

Revoici la polémique relancée au sein de la « GroKo », la « grande coalition ». Les bras droits de la chancelière au sein de la CDU ont tenté de clore le débat, rappelé qu’un rapport a été demandé et sera rendu en octobre et qu’il faut attendre jusque-là… Mais en vain. Le patronat allemand, trop heureux de l’aubaine, a répété sa demande de report de l’âge de la retraite jusqu’à 70 ans. Dans le Rheinische Post de ce vendredi, Ingo Kramer, le président de la DBA, la fédération des employeurs allemands, a estimé que si rien n’était fait, les cotisants, patrons et employés, devront payer 60 milliards d’euros de plus qu’aujourd’hui. Le président de la fédération des assureurs allemands, la GDV, Alexander Erdland, a, lui, estimé que des « âges de départ à la retraite fixes ne correspondent plus à une espérance de vie plus dynamique. »

Des problèmes structurels

L’affaire est cependant plus complexe. L’espérance de vie est un concept commode pour les partisans d’un départ plus tardif à la retraite, mais il ne représente qu’une partie du problème. L’autre partie est évidemment la diminution de la population active qui reflète un des échecs les plus cuisants de la politique allemande de ces dernières années. Malgré 200 milliards d’euros de politique familiale dépensés chaque année, le taux de fertilité est resté très bas. Il est récemment remonté légèrement, mais pas suffisamment. L’apport des réfugiés est, de ce point de vue, une bonne nouvelle, mais ne règle pas tout, car il reste insuffisant à long terme. L’activité à temps plein des femmes devrait aussi être encouragée, ce qui n’est pas encore suffisamment le cas. Bref, le problème des retraites cachent une série de ratés de la politique allemande.

Du reste, les politiques tant vantées à l’étranger de flexibilisation de l’emploi ont conduit à un fort partage du temps de travail qui a réduit le nombre d’heures travaillés par le développement du temps partiel. Résultat : les salaires versés sont donc souvent réduits, malgré le plein emploi et les cotisations à terme insuffisantes. C’est le revers du plein emploi et c’est un modèle qui pose problème pour le financement des retraites. Les employeurs allemands ont beaucoup profité de cette situation, comme ils ont beaucoup encouragé la baisse de la couverture des accords salariaux collectifs, ce qui a conduit à réduire les hausses de salaires, mais aussi celles des cotisations.

L’espérance de vie, un bon critère ?

Enfin, l’espérance de vie est un argument qui semble peu porteur. En Allemagne, celle à un an, selon Eurostat, est de 78 ans pour les hommes et 82 pour les femmes, soit une moyenne de 80,4 ans. C’est moins que la moyenne de la zone euro (81,3 ans) et bien moins que l’espérance de vie en Espagne et en Italie (82,5 ans), mais aussi en France (82,1 ans). Cette espérance de vie n’est donc pas exceptionnelle. Surtout, elle n’est pas liée à une bonne santé. Selon les données récentes de Eurohex, l’espérance de vie en bonne santé en Allemagne pour un habitant de 65 ans n’est que de 7 ans. C’était 7,6 ans en 2006. Autrement dit, cet élément se dégrade et surtout il reste très inférieur à la moyenne européenne (8 ans). En France, cet espérance de vie à 65 ans est de 9,8 ans, contre 9,6 ans en 2006. On le voit donc : la situation se dégrade dangereusement outre-Rhin. Et l’espérance de vie à la naissance pourrait donc être le mauvais indicateur. Relever l’âge de départ sans régler ces problèmes structurels est donc une solution de facilité qui ne règlera en réalité rien.

A quoi joue Wolfgang Schäuble ?

Pourquoi alors Wolfgang Schäuble part-il à l’offensive ? Pour des raisons politiques, évidemment. Angela Merkel semble durablement affaiblie par la question des réfugiés. Tous les sondages montrent un affaiblissement préoccupant de la « grande coalition ». C’est vrai pour la SPD, mais aussi pour la CDU qui, selon la dernière enquête FGW n’est qu’à 33 % des intentions de vote, du jamais vu depuis 2011. Or le ministre fédéral des Finances semble décider à savonner la planche de la chancelière pour prendre la tête d’une opposition conservatrice interne. Pour cela, il distille savamment des petites phrases qui provoquent la colère de la SPD et la gêne de la chancelière. Il l’a fait sur la question grecque et sur celle des réfugiés, il le fait à présent sur la question des retraites.

L’objectif est simple : ruiner la stratégie temporisatrice d’Angela Merkel, la montrer incapable de contrôler la situation et l’identifier dans l’esprit des électeurs conservateurs aux Sociaux-démocrates. In fine, il s’agit de faire revenir dans le giron d’une CDU « redroitisée » les électeurs d’Alternative für Deutschland (AfD), le parti d’extrême-droite, et, surtout, de conserver la CSU bavaroise dans l’orbite de la CDU, alors que cette dernière diverge de plus en plus du parti d’Angela Merkel et penserait même à se présenter au niveau national… Le durcissement du ton face à la Grèce via le FMI va dans le même sens. Angela Merkel a des raisons de s’inquiéter : ses rivaux sont proches d’elle…

Source : La Tribune, Romaric Godin, 22/04/2016

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