mercredi 20 avril 2016

Une coalition de parlementaires corrompus fait tomber Dilma Rousseff

Une coalition de parlementaires corrompus fait tomber Dilma Rousseff

Source : France24, Sophie Guignon, David Gaormezano, 17-04-2016

Une coalition de parlementaires corrompus proche de faire tomber Dilma Rousseff

Sauf coup de théâtre, la Chambre des députés brésilienne devrait massivement approuver dans la nuit de dimanche à lundi la destitution de Dilma Rousseff. Analyse de la chute d'une présidente réélue il y a deux ans à peine.

Un peu plus d'un an après les premières manifestations demandant la destitution de la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, en mars 2015, l'opposition est en train de voir son rêve se réaliser. Dimanche 17 avril, à partir de 18 h GMT, la Chambre des députés se prononcera, deux tiers des voix étant nécessaires pour que la procédure de destitution soit transmise au Sénat.

Lâchée par ses alliés de centre droit, Dilma Rousseff ne peut plus compter que sur le soutien de son parti, le Parti des travailleurs (PT), au pouvoir depuis 2002, et de quelques autres partis de gauche. Depuis les défections de trois partis de sa coalition intervenues en début de semaine, toutes les estimations sont formelles : pour Dilma Rousseff, les carottes sont cuites. Quelles sont les raisons de l'ubuesque descente aux enfers d'une présidente réélue avec 51,5 % des voix en octobre 2014 ?

De quoi est accusée Dilma Rousseff ?

L'acte de destitution lui reproche son “irresponsabilité” en matière budgétaire. En 2015, son gouvernement aurait maquillé des déficits publics en prêts contractés auprès de banques publiques, ce que la présidente brésilienne nie. Ce tripatouillage de comptes publics est connu au Brésil sous l'appellation intraduisible mais imagée de “pedaladas”.

Ce n'est donc pas son rôle dans le méga scandale de corruption Petrobras qui est en jeu. Ni la nomination de Lula au gouvernement, le mois dernier, qui avait déclenché de violentes réactions parmi les Brésiliens.

Comment en est-on arrivé là ?

Depuis sa réélection, Dilma Rousseff fait face à l'opération “Lava Jato”, une enquête judiciaire de grande envergure qui révèle jours après jours les liens de corruption entre personnages politiques et grandes entreprises (principalement du BTP et du secteur de l'énergie), sans épargner les membres de son parti.

En plus de cette opération “Mains propres” à la brésilienne qui secoue l'establishment du pays, le Brésil s'enfonce dans une violente récession économique. L'incapacité de Dilma à contenir la crise l'a mise sous le feu des critiques des milieux d'affaires, mais aussi de ses soutiens politiques, qui lui reprochent de sacrifier les classes populaires.

Depuis des mois, la présidente parvient difficilement à gouverner en raison de son impopularité. Les dirigeants de l'opposition veulent écourter son mandat pour que le pays puisse “prendre un nouveau départ”.

Selon Luis Almagro, le secrétaire général uruguayen de l'OEA (Organisation des États américains), “pour nous, il s'agit d'une procédure de destitution contre une présidente qui n'est pas accusée d'avoir commis des actes illégaux. C'est d'autant plus préoccupant que ceux qui ont actionné le mécanisme de destitution sont des parlementaires qui sont eux-mêmes sous le coup d'accusations, ou qui ont été condamnés. C'est le monde à l'envers.”

La destitution de Dilma Rousseff est-elle légitime ?

Si la procédure a suivi toutes les étapes constitutionnelles et légales, la destitution de Dilma Rousseff obéit avant tout à une logique politique.

Le combat pour sa destitution voit s'affronter les défenseurs des acquis du Lulisme et l'establishment conservateur brésilien qui, après avoir perdu quatre élections présidentielles successives, veut récupérer le pouvoir à tout prix.

Pour Mario Conti, éditorialiste du journal Folha de Sao Paulo et de la chaine GloboNews, “rien, jusqu'à présent, ne prouve un enrichissement personnel de la présidente. C'est évident qu'elle a contribué à l'état de récession dans lequel est plongé le pays, qu'elle a menti pendant la campagne électorale, qu'elle est irrascible. Mais tout cela ne constitue pas un crime de ‘responsabilité’ et ne justifie pas une destitution”, ajoutant : “Elle n'a pas volé, et c'est une bande de voleurs qui la juge. L'élite brésilienne veut mettre un terme au cycle politique du Parti des Travailleurs quel qu'en soit le prix.”

S’agit-il d’un coup d’État constitutionnel ?

C'est ce que Dilma, Lula et les dirigeants du PT affirment depuis des mois. Une opinion partagée par beaucoup de Brésiliens, militants ou sympathisants de gauche qui défilent depuis des mois derrière le slogan “Nao vai ter golpe” (“Il n'y aura pas de coup d'État”).

Pour beaucoup, c'est la démocratie qui est en jeu. On ne peut démettre une présidente démocratiquement élue parce que l'opposition et l'opinion publique jugent négativement sa gestion de l'économie et de l'État.

Ceux qui affirment que c'est un coup d'État s'appuient sur les sombres réalités de la classe politique brésilienne. L'ultra conservateur évangéliste Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, est accusé de blanchiment d'argent pour des montants astronomiques (de 5 à 40 millions de dollars selon les sources). Et c'est lui qui, en décembre, avait jugé recevable la demande de destitution au moment où la commission d'éthique du Parlement souhaitait le suspendre de ses fonctions.

Selon Transparency Intenational, 36 des 65 députés qui formaient la commission parlementaire qui a autorisé la mise au vote de la motion de destitution le 11 avril ont déjà été condamnés ou sont inculpés pour des faits allant de malversations électorales au blanchiment d'argent. Selon l'ONG, 60 % des parlementaires brésiliens ont (ou ont eu) affaire à la justice pour des affaires de corruption mais aussi de meurtre, d'enlèvement et séquestration ou encore de déforestation illégale.

De fait, on peut reprocher à Dilma Rousseff une mauvaise gestion économique et un certain autisme politique, mais elle n'est personnellement liée à aucune accusation de corruption ou de détournements de fonds publics. Alors qu'on ne peut en dire autant de nombreux élus brésiliens qui réclament sur tous les tons la destitution de la présidente depuis des mois.

Qui peut succéder à Dilma Rousseff ?

À Brasilia, le vice-président Michel Temer se comporte déjà en nouveau président et consulte en vue de la formation de son prochain gouvernement. “Le traître en chef”, dixit Dilma Rousseff, a même fait fuiter son discours d'investiture à la presse et explique déjà quelle politique il entendrait mener en tant que président. Selon le Jornal do Brasil, il pourrait prêter serment le 10 mai si le Sénat ratifiait la décision des députés. Si une majorité simple des sénateurs vote en faveur de la destitution, Dilma Rousseff sera suspendue 180 jours. En cas de majorité qualifiée des deux tiers, Michel Temer pourra assumer la présidence jusqu'au terme du mandat présidentiel, en 2018.

Cet avocat constitutionaliste de 75 ans a été le colistier de Dilma lors de la campagne de 2010 et de 2014. Sa place sur le ticket présidentiel, il la doit à sa fonction de chef du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), l'un des trois grands partis du pays, avec qui tous les présidents ont fait alliance depuis le retour à la démocratie en 1985, afin d'avoir une majorité au Parlement et pouvoir ainsi gouverner.

Chef d'un parti centriste “attrape-tout” sans colonne vertébrale ni idéologie, roi des marchandages et des intrigues, il pourrait cependant voir ses ambitions sapées par une procédure de destitution concernant des irrégularités commises dans le cadre du financement de sa campagne électorale de 2014.

En cas de destitution du vice-président, peuvent lui succéder, dans l'ordre, Eduardo Cunha, le président de la Chambre des députés, puis Renan Calheiros, le président du Sénat, tous deux impliqués dans des affaires de corruption. Vient ensuite Ricardo Lewandowski, le président de la Cour suprême. Tous trois sont sommés par la Constitution d'organiser de nouvelles élections présidentielles dans les 90 jours qui suivent leur prise de fonction.

Ainsi, plutôt que de mettre un terme à une longue crise politique, la destitution de Dilma Rousseff ouvrirait très certainement une longue période de batailles politiques et judiciaires.

Source : France24, Sophie Guignon, David Gaormezano, 17-04-2016

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Rousseff: «Ils veulent sauver des corrompus»

Source : 20 minutes, AFP, 16-04-2016

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Les tours de passe-passe budgétaires qui sont reprochés à Dilma Rousseff «ont été pratiqués par tous les présidents avant moi et ont été considérés légaux», s’est défendue la présidente au lendemain du vote de la Chambre des députés en faveur de sa destitution. Elle s’est exprimée lors d’une conférence de presse. (Image – 18 avril 2016)

Dilma Rousseff et son mentor Lula ont déclenché samedi la contre-offensive de la dernière chance pour faire avorter la procédure de destitution de la présidente brésilienne. Les députés décideront dimanche du sort de la dirigeante de gauche.

Le camp présidentiel a attaqué ses adversaires et menait parallèlement en coulisses de fiévreuses négociations auprès des députés encore hésitants. Cette situation sème l’inquiétude dans les rangs de l’opposition de droite.

Mme Rousseff s’en est prise au vice-président Michel Temer, qui brigue ouvertement son mandat, et à son allié le président du Congrès des députés Eduardo Cunha, dans une tribune publiée par le quotidien de Sao Paulo. «Ils veulent condamner une innocente et sauvent des corrompus. Quelle est leur légitimité ?», s’est-elle interrogée.

M. Temer, à la tête du grand parti centriste PMDB qui a quitté fin mars la coalition de Mme Rousseff, est presque tout aussi impopulaire qu’elle. Et, il n’obtiendrait qu’1% des voix à une élection à la régulière, selon un récent sondage.

Son nom a en outre été cité par plusieurs personnes poursuivies dans le cadre de l’enquête sur le réseau de corruption monté au sein de la compagnie pétrolière publique Petrobras. M. Cunha, représentant de l’aile dure du PMDB, est quant à lui inculpé de «corruption et blanchiment d’argent» dans ce dossier.

Lula actif

«L’élite brésilienne n’aime pas la démocratie», s’est exclamé à Brasilia l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, acclamé par plus de mille paysans sans terre, syndicalistes et militants du Parti des Travailleurs (PT-gauche) qui campent près du stade Mané Garrincha. Mais Lula ne s’est pas attardé. «Je dois rentrer (négocier). Nous ne devons pas les laisser remporter les 342 voix», a-t-il expliqué.

Pour faire échouer la tentative de destituer Mme Rousseff dès dimanche, le camp présidentiel devra en effet absolument empêcher l’opposition d’atteindre ce score des deux tiers des députés (342 sur 513) requis pour que la procédure soit renvoyée au Sénat.

Dilma Rousseff serait alors dans une position extrêmement délicate. Au Sénat, il suffirait d’un vote à la majorité simple pour qu’elle soit mise en accusation et écartée du pouvoir pendant un maximum de six mois en attendant le verdict final. Michel Temer assumerait alors ses fonctions et formerait un gouvernement de transition.

Camp présidentiel efficace

«C’est une guerre de chiffres qui montent et qui descendent comme à la Bourse des valeurs», a expliqué Lula à ses partisans. «A un moment, le type dit qu’il est pour nous et après, il ne l’est plus et il faut négocier 24 heures par jour».

Le camp présidentiel semble avoir marqué quelques points ces dernières heures. Ce qui a contraint Michel Temer, qui était rentré chez lui à Sao Paulo, à rentrer d’urgence à Brasilia, selon les médias brésiliens.

Le chef du comité informel militant pour la destitution, le député du DEM (droite) Mendonca Filho, se voulait néanmoins confiant. «Nous avons dépassé la barre des 342 votes. Notre position est consolidée, mais nous ne devons pas céder à la facilité. Il nous faut rester vigilants», a-t-il déclaré.

Dilma Rousseff, un ex-membre de la guérillera sous la dictature (1964-85), est accusée par l’opposition de maquillage des comptes publics en 2014, année de sa réélection, et début 2015, mais pas de corruption. Elle se dit victime d’une tentative de «coup d’Etat» institutionnel, alléguant que tous ses prédécesseurs ont eu recours sans être inquiétés aux mêmes tours de passe-passe budgétaires.

Manifestations dimanche

Le suspens du vote de dimanche promet de durer jusqu’à la dernière minute. Les députés ont repris samedi matin leur session extraordinaire à Brasilia. Chacun disposait de trois minutes pour s’exprimer à la tribune.

De grandes manifestations de chaque camp sont prévues pour dimanche à Rio de Janeiro (sud-est), le long de la célèbre plage de Copacabana, à des horaires différents. A Sao Paulo (sud-est), poumon industriel du Brésil et fief de l’opposition, les autorités prévoient une affluence d’un million de manifestants.

(nxp/afp)

Source : 20 minutes, AFP, 16-04-2016

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Brésil : les députés votent en faveur d’une destitution de Dilma Rousseff

Source : Le Nouvel Obs, AFP, 18-04-2016

Si le Sénat approuve aussi la destitution, la présidente du Brésil sera écartée du pouvoir.

Les députés brésiliens ont ouvert dimanche la voie d’une destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff à une écrasante majorité. Le camp de la destitution l’a emporté par 367 voix, 25 de plus que les 342 requises (2/3) pour autoriser le sénat à mettre la présidente en accusation.

Seuls 137 députés (de gauche et d’extrême gauche pour l’essentiel) ont voté contre la destitution. Sept députés se sont abstenus et trois étaient absents. José Guimaraes, le leader du Parti des Travailleurs (gauche) au Congrès, a réagi :

“Les putschistes ont gagné ici à la chambre [mais ] cette défaite provisoire ne signifie pas que la guerre est perdue.”

Vote du sénat avant le 11 mai

Dilma Rousseff est accusée de maquillage des comptes publics en 2014, année de sa réélection, et en 2015, pour masquer l’ampleur de la crise économique. Mais elle nie avoir commis un crime dit “de responsabilité” et dénonce une tentative de “coup d’Etat” institutionnel.

Depuis sa réélection, elle est embourbée dans une crise politique qui s’est embrasée au mois de mars, avec d’immenses manifestations pour son départ et l’entrée frustrée au gouvernement de son mentor Lula, soupçonné de corruption par la justice.

Plus de 60% des Brésiliens souhaitent désormais son départ. Et son mandat ne tient plus qu’à un fil : d’ici le 11 mai, les sénateurs vont se prononcer. S’ils sont une majorité à se prononcer en faveur de cette destitution, la présidente sera formellement mise en accusation pour “crime de responsabilité” et écartée du pouvoir pendant 180 jours au maximum en attendant un verdict final.

Le vice-président Michel Temer, son ex-allié centriste et désormais rival, assumerait alors ses fonctions et formerait un gouvernement de transition.

“Traître conspirateur”

Cette session extraordinaire du Parlement s’est déroulée dans un lourd climat d’affrontement dès son ouverture par le président du Congrès Eduardo Cunha, ennemi juré de la présidente. Il est lui-même inculpé pour corruption dans le scandale des détournements de fonds du géant pétrolier étatique Petrobras.

A Brasilia, environ 53.000 manifestants en vert et jaune favorables à la destitution et 26.000 sympathisants de gauche habillés en rouge ont suivi les débats sur des écrans géants devant l’assemblée.

Après les interventions des chefs des groupes parlementaires, chaque élu a eu dix secondes pour annoncer son vote au micro. Le député d’extrême gauche (PSOL) Jean Wyllys s’est montré le plus éloquent. A l’adresse d’Eduardo Cunha et de Michel Temer, il a lancé :

“Je veux dire que j’ai honte de participer à la farce de cette élection indirecte, conduite par un voleur et ourdie par un traître conspirateur.”

“Au nom des communautés homosexuelles, du peuple noir exterminé dans les quartiers périphériques, des sans-toit, des sans-terre, je vote non à ce Coup d’État”, a-t-il martelé.

(Avec AFP)

Source : Le Nouvel Obs, AFP, 18-04-2016

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