dimanche 17 avril 2016

Le libéralisme à plusieurs vitesses

Le libéralisme à plusieurs vitesses

Les ultralibéraux font généralement de la liberté la valeur centrale. Mais à force de laisser-faire et de laisser-passer, il faut bien constater que leurs politiques finissent par produire une liberté à plusieurs vitesses, assez large au sommet de la pyramide, parfois bien plus restreinte en bas.



C'est cher et contraignant d'être pauvre…

Encore une fois, The Economist donne de bons arguments contre le modèle qu'il défend, signe d'une prise de conscience des dégâts du modèle ultralibéral. Il y a quelques mois, il avait publié un papier disant « c'est cher d'être pauvre », concluant « l'inégalité est encore pire que les chiffres de revenus le suggèrent », ce qui n'est pas peu dire pour les Etats-Unis, où Emmanuel Saez a révélé une réalité effarante : de 1973 à 2012, la croissance moyenne de 17% des revenus cache la chute de 13% pour 90% des ménages, quand ceux du 1% le plus riche ont progressé de 187%. The Economist note que les frais bancaires sont colossaux pour les plus pauvres, et que de 2000 à 2013, pour la Federal Reserve de Chicago, l'inflation a été plus forte de 3,2% pour eux, du fait des loyers, de l'énergie et de l'alimentation.



Et dans un de ses prêches récents pour l'anarchie commerciale devant la montée des idées protectionnistes aux Etats-Unis, il reconnaît quand même qu'il y a des perdants… En effet, bien des économistes notent les conséquences des échanges commerciaux déséquilibrés avec la Chine, qui jouent un rôle majeur dans la destruction d'emplois industriels outre-Atlantique (a minima 20% des emplois perdus de 1999 à 2011), une situation d'autant plus problématique que ceux qui perdent leur emploi ont des difficultés à en retrouver. Le journal note que « les travailleurs semblent moins enclins à changer d'emplois ou d'Etat que dans le passé. Une partie de l'explication peut venir de l'immobilier, en fixant les personnes dans des zones en déclin ou en ne leur permettant pas de rejoindre les zones en croissance ».

Quand ils ne sont pas poussés à la faillite et expulsés pour des prêts aventureux accordés par les banques (on parlait de prêts NINJA, « No Income, No Job, no Asset »), les classes populaires voient leurs revenus stagner, leur pouvoir d'achat reculer plus encore que les statistiques ne l'indiquent, et sont coincées dans des régions en déclin avec peu d'emplois. Passons sur l'injonction à la mobilité, qui ne devrait être qu'un choix, et pas une obligation. Au global, ce capitalisme moderne, s'il créé de nouvelles libertés, ne le fait de manière égale. Si les classes supérieures et moyennes en profitent, en revanche, la hausse des inégalités, sans doute sous-estimée, créé un système qui aliène littéralement une partie de la population, notamment dans les pays les plus inégalitaires comme aux Etats-Unis.

Et quel meilleur exemple que l'évolution de ce que nous considérons comme des services publics en France ou en Europe : la santé ou l'éducation. Même si l'Obamacare a apporté quelques corrections bienvenues, un nombre effarant de personnes ne sont toujours pas couvertes, et la maladie peut priver certains de la liberté pour des raisons financières, allant jusqu'à hypothéquer leur maison pour financer les soins les plus chers. Et cette limitation de la liberté se retrouve également dans la grande difficulté pour les classes populaires à progresser socialement (l'Europe étant plus fluide que les Etats-Unis, contrairement aux présupposés), du fait de la privatisation de l'enseignement supérieur et du coût ridiculement élevé des études, qui bloque les classes populaires de l'accès au progrès social.


Cette fracture sociale s'illustre bien dans ces journaux télévisés qui semblent parfois ne parler qu'aux cadres supérieurs. Mais ce faisant, cela dessine le visage d'un libéralisme à plusieurs vitesses, où les écarts de richesse grandissant trouvent une répercussion grandissant dans la liberté des individus, d'autant plus que certaines tendances liberticides ne sont pas non plus également réparties.

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