vendredi 1 avril 2016

Droit international : Bombarder un hôpital est-il un crime de guerre ? Par Corinne Roussel

Droit international : Bombarder un hôpital est-il un crime de guerre ? Par Corinne Roussel

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Hôpital de Maarat Al-Numan, Syrie. Avant-après.

“Le bombardement d’un hôpital est un “accident” trop fréquent.
C’est également un crime de guerre.” – Bernard Kouchner sur Kunduz, The Guardian, octobre 2015.

Dans une réaction officielle au bombardement délibéré de l’hôpital de MSF de Ma’arrat al-Numan, le 15 février dernier en Syrie, le nouveau ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault condamnait “avec la plus grande fermeté” les attaques “délibérées” contre les structures de santé de Syrie “par le régime ou ses soutiens” et les qualifiait de “constitutives de crimes de guerre”.

Même si le pays d’origine du bombardier responsable de l’attaque reste encore à établir, au regard des Conventions de Genève, la déclaration d’Ayrault est parfaitement factuelle : les bombardements intentionnels d’hôpitaux sont en effet interdits par les lois humanitaires internationales et ce, quelle que soit l’identité des belligérants. Il n’y a pas d’exceptions – du moins en théorie. En pratique, tout dépend.

Au Yémen, l'hôpital de MSF Shiara attaqué

Le 10 janvier 2016, une structure de soins soutenue par MSF à Razeh, l’hôpital Shiara, était frappée par un projectile, avec un bilan de cinq morts et dix blessés. Selon MSF, qui a déclaré ignorer l’origine de l’attaque – une de plus dans une série de structures de santé de MSF prises pour cibles au Yémen – les coordonnées GPS de l’hôpital avaient pourtant été transmises à toutes les forces en présence. De plus, l’ONG maintenait un dialogue constant avec les belligérants pour s’assurer de leur compréhension de la sévérité de la situation humanitaire sur le terrain et de l’obligation légale de respect des lieux de soins. Selon les propos de la directrice d’opérations Raquel Ayora rapportés par CNN, “Il est impossible que ceux qui ont la capacité de mener des frappes aériennes ou de lancer des missiles n’aient pas su que l’hôpital Shiara était un structure de santé fonctionnelle, soutenue par MSF et qui fournissait des services critiques”.

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Hôpital Shiara, Yémen.

En réaction à l’attaque, la diplomatie française a publié un communiqué prudent :

“La France condamne l'attaque du 10 janvier 2015 qui a touché le centre médical géré par l'ONG Médecins sans Frontières à Razeh et fait quatre morts et dix blessés. Nous rappelons l'obligation pour toutes les parties de respecter le droit international humanitaire, conformément aux conventions de Genève et ainsi que l'a réaffirmé le conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution 2216. La France appelle au rétablissement du cessez-le-feu et invite toutes les parties à la reprise du dialogue interyéménite.” (Diplomatie Française)

Pour mémoire, reprenons les termes exacts du communiqué de Jean-Marc Ayrault sur l’attaque de Ma’arrat al-Numan en Syrie :

“Je condamne avec la plus grande fermeté le nouveau bombardement délibéré visant un hôpital soutenu par Médecins Sans Frontières dans le nord de la Syrie. Six patients et un employé de l'hôpital ont trouvé la mort au cours de deux attaques distinctes sur la même cible. Huit membres du personnel sont toujours portés disparus et l'organisation fait état de dizaines de blessés. Les attaques contre les structures de santé en Syrie par le régime ou ses soutiens sont inacceptables et doivent cesser immédiatement. Elles sont constitutives de crimes de guerre. Il est indispensable que toutes les parties s'attèlent à la mise en œuvre sans délai des dispositions de la résolution 2254 du conseil de sécurité des Nations unies et, en particulier, garantissent la livraison de l'assistance humanitaire à toutes les zones assiégées ou difficiles d'accès. Il est plus qu'urgent de mettre en œuvre les engagements de cessation des hostilités pris à Munich par le groupe international de soutien pour la Syrie.”
(Diplomatie Française)

Pour revenir à l’attaque du 10 janvier contre l’hôpital yéménite Shiara, la réponse officielle américaine à cette énième agression illégale de structures hospitalières vitales a été encore plus réservée que celle de la France. Enfouies à la page 2 d’un rapport de sept pages d’USAID posté sur le site du Département d'État, sept lignes expédient, dans les termes les plus neutres, quatre attaques contre des dispensaires de MSF au Yémen, dont celle de l’hôpital Shiara, et la saisie probable par l’ONG de la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits, un organisme d’enquête indépendant instauré dans le cadre des Conventions de Genève et soutenu par l’ONU.

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Yémen toujours, l’hôpital Haydan de MSF bombardé par la coalition saoudienne

Le bombardement de l’hôpital Haydan de MSF par la coalition saoudienne (Arabie Saoudite, EAU, Bahreïn, Koweït, Jordanie, Soudan et Égypte, avec le soutien de la logistique et des renseignements militaires américains), le 26 octobre 2015, n’a pas rencontré beaucoup plus d’écho. Au cours des briefings officiels de presse des jours suivants l’attaque, le Département d'État s’est cantonné à un silence prudent, alors que l’Arabie Saoudite niait toute implication et que MSF l’accusait de mensonge. Le porte-parole du Département de la Défense américain, Edgar Vasquez, a néanmoins confié à Salon.com.

“Nous nous inquiétons beaucoup des rapports selon lesquels des frappes de la coalition ont touché une structure médicale de MSF. Nous appelons tous les membres de la coalition à mener une enquête sur cet incident et, s’il est confirmé, de remédier aux facteurs qui y ont mené, et même si nécessaire de mettre les responsables face à leur imputabilité.”

Depuis, en contradiction avec ses dénégations précédentes , l’Arabie saoudite a admis sa responsabilité dans le bombardement mais en a rejeté la faute sur MSF, qui n’aurait “pas fourni les bonnes coordonnées GPS”. Selon l’ONG française, l'hôpital était la seule structure à même de sauver des vies de la région. Il a été détruit à 99%.
En France, il n’y a eu aucune réaction du ministère des Affaires étrangères au bombardement de l'hôpital Haydan.

Kunduz et la question de CNN : Le bombardement d’un hôpital afghan par les USA constitue-t-il un crime de guerre ?

Pour MSF, c’est indubitablement d’une présomption de crime de guerre qu’il s’agit dans l’affaire du bombardement de l'hôpital de Kunduz par les USA. Dans un communiqué du 6 octobre 2015, Joanne Liu, présidente internationale de l’ONG, écrivait

“Cette attaque ne peut pas être balayée d'un revers de la main comme une simple erreur ou une conséquence inévitable de la guerre. Les déclarations du gouvernement afghan ont affirmé que les forces talibanes utilisaient l'hôpital pour faire feu sur les forces de la Coalition. Ces déclarations impliquent que les forces afghanes et américaines qui coopéraient ont décidé de raser un hôpital complètement fonctionnel, ce qui constitue l'aveu d'un crime de guerre” avant d’ajouter “Seule une enquête indépendante et transparente sur ce crime permettra de garantir dans le futur la protection des structures de santé et le respect de leur neutralité en zones de guerre.”

Le jour même de l’attaque, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein réclamait également une enquête “rapide, indépendante, complète et transparente” sur cet événement qu’il dénonçait comme “absolument tragique, inexcusable, et possiblement même criminel”.

Bien qu’encadrés par les guillemets d’usage dans les cas où la malveillance n’est pas prouvée, les mots “crime de guerre” brandis par MSF et les médias français, les exigences d’explications de l’ONG, la déclaration de Zeid Ra’ad Al Hussein et une demande d’enquête du ministère français des Affaires étrangères ont suscité des réactions américaines pour le moins fluctuantes : en l’espace de quatre jours, quatre versions différentes se sont succédées. Samedi, l’armée américaine disait ne pas être sûre d’avoir frappé l'hôpital, mais expliquait que des forces américaines s’étaient retrouvées sous le feu des Talibans. Dimanche, c’était une ligne de front du voisinage qui était visée et non l’hôpital, frappé par erreur. Lundi, les Afghans avaient requis des frappes américaines de soutien et mardi, c’étaient bien les Américains qui avait demandé les frappes sur requête afghane. Dans une cinquième version émise le jour de l’attaque, Sediq Sediqi, porte-parole du ministère de l’Intérieur afghan, expliquait aux caméras de presse

“Quinze terroristes se cachaient dans l’hôpital et ont tous été tués, mais nous avons aussi perdu des médecins”.

MSF a nié toute présence de terroristes dans l’hôpital et qualifié les propos de Sediqi “d’aveu de crime de guerre“.  Pour Christopher Stokes, directeur général de l’ONG,

Ces mots contredisent formellement les tentatives initiales du gouvernement américain de minimiser l’attaque comme “dommage collatéral”.

En conclusion, le général John Campbell, commandant de la mission américaine en Afghanistan, a présenté ses plus sincères condoléances sans toutefois s’excuser, le président Obama a appelé la direction de MSF pour présenter des excuses au nom des USA, le Pentagone a proposé une compensation financière aux familles des victimes, le Département d'État a écarté les demandes répétées d’une enquête indépendante de MSF et le Pentagone a promis une enquête interne.

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Hôpital de Kunduz, Afghanistan

Espérons que le bombardement de l’hôpital syrien de MSF de Ma’arrat al-Numan, perpétré “probablement par les Russes” selon la quasi-unanimité des médias français, verra aboutir la demande publique d’enquêtes indépendantes de la présidente internationale de MSF, Joanne Liu. La Commission internationale humanitaire d’établissement des faits, qui n’a pas encore été saisie à ce stade, se déclare prête à fournir ses services en lien avec cette triste affaire.

Corinne Roussel pour www.les-crises.fr

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