vendredi 22 avril 2016

[2/2] Trump et Clinton : censurer ce qui dérange, par John Pilger

[2/2] Trump et Clinton : censurer ce qui dérange, par John Pilger

Source : Consortiumnews.com. Par John Pilger le 29 mars 2016

Tandis que Donald Trump, le bateleur milliardaire, fait l’objet d’une opération de diabolisation à grande échelle, l’establishment de la politique et des médias fait d’Hillary Clinton l’héroïne de la pièce « Il faut arrêter Trump ! », mais qui est vraiment le plu22s dangereux des deux, demande John Pilger.

Une censure certes habituelle, mais violente, s’abat sur la campagne électorale aux États-Unis. Alors que la grosse brute de bande dessinée, Donald Trump, va probablement gagner la nomination du Parti républicain, Hillary Clinton, décrète-t-on, est à la fois « la candidate des femmes » et la championne du libéralisme américain dans sa lutte héroïque contre le Mal incarné.

Des sornettes, bien sûr. Hillary Clinton laisse derrière elle un cortège de massacres et de souffrances tout autour du monde, sans parler de son rôle évident d’exploiteuse cupide dans son propre pays. Cependant, au pays de la liberté d’expression, il devient impossible de le dire.

L'ancienne secrétaire d'État Hillary Clinton.

L’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton.

La campagne présidentielle d’Obama en 2008 aurait néanmoins dû alerter même les plus naïfs. Il avait fondé sa campagne « hope » presque entièrement sur le fait que, d’origine afro-américaine, il aspirait à diriger la terre de l’esclavage. Il était aussi opposé à la guerre.

Obama, cependant, n’a jamais été opposé à la guerre. Au contraire, comme tous les présidents américains, il y était favorable. Il avait voté en faveur des subventions pour George W. Bush, destinées au massacre en Irak, et il projetait d’intensifier les combats en Afghanistan. Dans les semaines qui ont précédé son serment d’entrée en fonctions, il a secrètement approuvé une attaque israélienne contre Gaza, le massacre connu sous le nom d’Operation Cast Lead (Opération plomb durci). Il a promis de fermer le camp de concentration de Guantanamo et il ne l’a pas fait. Il s’est engagé à contribuer à débarrasser le monde des armes nucléaires et il a fait le contraire.

Choisir le mielleux Obama comme directeur du marketing du statu quo d’un nouveau genre, quelle excellente décision ! Même à la fin de sa présidence éclaboussée de sang, avec ses drones qui répandent bien plus de terreur et provoquent bien plus de morts dans le monde que les djihadistes à Paris et à Bruxelles, Obama continue à être encensé pour son attitude « cool » (cf. le quotidien britannique, The Guardian).

Mon article « Début d’une nouvelle guerre froide » a été publié sur le web (y compris sur Consortiumnews.com) à partir du 22 mars.

Comme je le fais depuis des années, je l’ai distribué à un réseau international, qui comprenait Truthout.com, le site libéral américain. Truthout publie des articles d’une haute tenue, en particulier les remarquables dénonciations du monde des affaires de Dahr Jamail. Mais Truthout a refusé mon article : selon un rédacteur, il violait la ligne directrice et avait été publié dans Counterpunch ; j’ai répondu que cela n’avait jamais été un problème au cours des années et que je ne connaissais pas cette ligne directrice.

Le milliardaire et candidat républicain à la présidence, Donald Trump.

Le milliardaire et candidat républicain à la présidence, Donald Trump.

Mon obstination m’a apporté une nouvelle explication. Mon article était absous, si je le soumettais à une « relecture » et acceptais les changements et les suppressions effectués par « le comité éditorial » de Truthout. En conséquence, on a édulcoré et censuré ma critique de Hillary Clinton et on a veillé à bien la distinguer de Trump. Voici le passage coupé :

« Trump est, pour les médias, un personnage haïssable, cela seul devrait, d’ailleurs, nous inciter au scepticisme. Les opinions de Trump sur l’immigration sont grotesques, mais pas plus que celles de David Cameron. Ce n’est pas Trump qui est champion des expulsions des États-Unis, mais le lauréat du prix Nobel de la paix, Barack Obama… Le danger pour le reste d’entre nous, ce n’est pas Trump, mais Hillary Clinton. Ce n’est pas une anticonformiste. Elle incarne la ténacité et la violence d’un système… À l’approche de l’élection présidentielle, elle va être saluée comme la première présidente femme, sans qu’on se soucie de ses crimes et de ses mensonges, de la même façon que Barack Obama a été célébré comme le premier président noir et que les libéraux ont gobé toutes ses bêtises à propos de “l’espoir”. »

Le « comité éditorial » voulait clairement que j’édulcore mon argumentation, que je cesse de soutenir que Clinton représentait un danger extrême pour le monde. Comme toutes les censures, celle-ci était inacceptable.

Maya Schenwar, qui dirige Truthout, m’a écrit que ma réticence à soumettre mon travail à un « processus de révision » la conduisait à enlever mon article du « registre des publications ». Ainsi s’exprime la gardienne du temple.

La façade Obama/Clinton

Au cœur de cet épisode se niche quelque chose d’inexprimable depuis déjà longtemps. C’est le besoin, la compulsion de beaucoup de libéraux aux États-Unis d’adouber un dirigeant issu de l’intérieur d’un système manifestement impérialiste et violent. Comme « l’espoir » d’Obama, le genre de Clinton n’est rien d’autre qu’une façade de convenance.

Cette irrépressible envie n’est pas neuve. Dans son essai de 1859 « De la liberté », auquel les libéraux ne cessent de rendre hommage, John Stuart Mill a décrit le pouvoir de l’empire. « Le despotisme est une façon légitime de gouverner quand on est en face de barbares, a-t-il écrit, pourvu qu’on ait pour fin de les faire progresser, et les moyens sont justifiés si l’on atteint effectivement cette fin. » Les « barbares » composaient une large part de l’humanité dont on exigeait une « soumission implicite ».

« Les libéraux sont des artisans de la paix et les conservateurs des bellicistes, voilà un charmant mythe bien pratique, » écrivait l’historien Hywel Williams en 2001, “mais l’impérialisme à la mode libérale est peut-être plus dangereux, à cause de sa nature illimitée. Il est, en effet, convaincu de représenter une forme supérieure de vie, [tout en refusant d’assumer son] vertueux fanatisme.”

Il avait à l’esprit un discours prononcé par Tony Blair après les attaques du 11-Septembre, dans lequel le Premier ministre promettait de « remettre de l’ordre dans le monde qui nous entoure » selon ses « valeurs morales » à lui. Il en est résulté le massacre d’un million de personnes en Irak.

Les crimes de Blair n’ont rien d’original. Depuis 1945, quelque 69 pays, plus d’un tiers des États membres des Nations Unies, ont souffert tout ou partie des agressions suivantes : leur pays a été envahi, leur gouvernement renversé, leurs mouvements de revendication populaire éradiqués et leur peuple bombardé. L’historien Mark Curtis évalue le nombre de victimes en millions.

Avec la disparition des empires européens, cela a été le projet du pays qui porte la flamme libérale, cette terre d’exception, les États-Unis, dont le président célébré comme progressiste, John F. Kennedy a, ainsi que l’indiquent de nouveaux travaux, autorisé le bombardement de Moscou pendant la crise cubaine de 1962. Les événements se sont, comme nous le savons, déroulés de telle sorte que ce bombardement est devenu inutile.

La nation indispensable

« Si nous devons utiliser la force, » dit Madeleine Albright, la secrétaire d’État de l’administration libérale de Bill Clinton, qui soutient maintenant farouchement la campagne de la femme de celui-ci, « c’est parce que nous sommes l’Amérique. Nous sommes la nation indispensable. Nous nous tenons la tête haute. Nous voyons plus loin vers l’avenir. »

L’un des crimes les plus abominables d’Hillary Clinton a été la destruction de la Libye en 2011. Sur ses instances pressantes, et avec le support logistique américain, l’OTAN a, selon ses propres archives, procédé à 9700 frappes contre la Libye, dont un tiers ciblait des civils. On a employé des missiles à l’uranium appauvri. Regardez donc les photographies de Misrata et de Syrte et les charniers identifiés par la Croix-Rouge. Lisez aussi le rapport de l’UNICEF au sujet des enfants tués « [dont] la plupart avait moins de dix ans. »

Dans les travaux universitaires anglo-américains que suivent servilement les médias libéraux des deux côtés de l’Atlantique, des théoriciens influents, appelés « libéraux réalistes » enseignent depuis longtemps que les impérialistes libéraux – expression qu’ils n’utilisent jamais – sont, dans le monde, des conciliateurs et des gérants de crise, plutôt que justement les fauteurs de ces crises. Ils ont enlevé l’élément humain de leur étude des nations et l’ont mis au congélateur, en employant un jargon au service des bellicistes. Ils écrasent des nations entières pour les autopsier, ils identifient des « États en échec », (ceux qui sont difficiles à exploiter) et des « États voyous » (ceux qui résistent à la domination occidentale).

Que le régime ciblé soit une démocratie ou une dictature n’a aucune importance. Au Moyen-Orient, les collaborateurs du libéralisme occidental sont depuis longtemps des extrémistes islamistes comme récemment al-Qaïda, tandis que des concepts cyniques de démocratie et de droits de l’homme sont employés pour servir de façade rhétorique à la conquête et à la destruction, comme en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Syrie, au Yémen, à Haïti et au Honduras. Consultez donc les archives publiques de ces bons libéraux, Bill et Hillary Clinton. Ils ont atteint un niveau auquel Trump ne peut qu’aspirer.

Source : Consortiumnews.com, le 29/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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