mardi 16 février 2016

L’homme le plus dangereux du monde ? Par Bill Law

L'homme le plus dangereux du monde ? Par Bill Law

Source : The Independent, le 08/01/2016

Le ministre saoudien de la Défense est agressif et ambitieux – et ses ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur sont dans sa ligne de mire

Bill Law

Mohammed bin Salman assiste au sommet des chefs des pays arabes et d’Amérique du Sud à Riyad AP

Quand Mohammed bin Salman avait tout juste 12 ans, il assistait déjà à des réunions dirigées par son père Salman, le gouverneur à cette époque de la province de Riyad en Arabie saoudite. A 29 ans, 17 ans plus tard, l’alors plus jeune ministre de la Défense au monde plonge son pays dans une guerre brutale et sans issue au Yémen.

En ce moment, le Royaume d’Arabie saoudite joute dangereusement avec l’Iran, son ennemi dans cette région, et mené par un homme semblant vouloir devenir le plus vite possible l’homme le plus puissant du Moyen-Orient.

Le prince Mohammed était encore un adolescent quand il commença à spéculer dans les actions et l’immobilier. Et quand il tombait sur un os ou deux, son père était capable de prendre les affaires en main. À la différence de ses plus grands demi-frères, MbS, comme il se fait appeler, n’est pas allé à l’université à l’étranger, préférant rester à Riyad où il étudia le droit à l’université King Saud. Ceux qui le fréquentaient le voyaient comme un jeune homme sérieux, qui ne fumait pas, ne buvait pas, et qui n'avait aucun intérêt pour la fête.

En 2011, son père devint deuxième Prince Héritier et obtint le très convoité ministère de la Défense, avec son budget colossal et ses juteux contrats d’armements. MbS, en tant que conseiller privé, géra la cour royale d’une main ferme en 2012, après que son père fut  nommé Prince Héritier.

A chaque étape de cette ascension dans la hiérarchie de la Maison des Saoud, le Prince Mohamed, fils favori, était au côté de son père. Parmi les Saoudiens influents, tant religieux qu’hommes d’affaires, il était entendu que si vous vouliez voir le père, il fallait passer par le fils.

Les détracteurs soutiennent qu’il a amassé une vaste fortune, mais c’est le pouvoir plutôt que l’argent qui motive le prince. Quand Salman accéda au trône en janvier 2015, sa santé était déjà mauvaise et il s’appuyait beaucoup sur son fils. Âgé de 79 ans, le roi souffrirait de démence et ne serait capable que de quelques heures quotidiennes de concentration. Gardien de l’accès à son père, MbS est donc le véritable détenteur du pouvoir royal.

Ce pouvoir s’est considérablement accru dès les premiers mois du règne de Salman. Le prince Mohamed a été nommé ministre de la Défense, il a été mis à la tête de la compagnie énergétique nationale Aramco, et d’une nouvelle et puissante structure, le Conseil pour l’Économie et le Développement, qui supervise tous les ministères. Il est aussi devenu responsable du fonds d’investissement souverain du royaume. Deuxième Dauphin, il a cependant obtenu l’ascendant sur son rival Mohammed bin Nayef, qui est Prince Héritier en titre et ministre de l’Intérieur, en intégrant la cour de celui-ci à la cour royale.

Mal disposé à l’égard de la bureaucratie, MbS a vite imposé sa marque en exigeant que les ministères définissent et fournissent chaque mois des indicateurs de performance ; ce système économique sclérosé, fondé sur le clientélisme, le capitalisme de connivence et la corruption, n’avait jamais vu ça. Ses descentes inopinées dans les ministères, tôt dans la matinée, où il exigeait de voir les registres, sont vite passées dans la légende tant il secouait et forçait à l’action un Riyad encore ensommeillé, à la grande admiration des jeunes Saoudiens. “Il est très apprécié de la jeunesse. Il travaille dur, il a des projets pour réformer l’économie et il est ouvert aux jeunes. Il les comprend,” s’enthousiasme un homme d’affaires.

Et ça compte, parce que 70% de la population saoudienne a moins de 30 ans, et que le chômage des jeunes est élevé ; certains l’estiment entre 20 et 25% de cette tranche d’âge.

Mais ce même zèle qu’il déploie dans ses réformes économiques a aussi conduit l’Arabie saoudite à une sale guerre chez les voisins du Yémen. En mars dernier, il a lancé une campagne aérienne contre les forces rebelles Houthi qui avaient expulsé du pays le président – installé par Riyad – Abd Rabbuh Mansur Hadi. En menant l’opération Tempête Décisive (“Decisive Storm”), MbS a jeté par la fenêtre les années de circonspection saoudienne.

Cela a dû passer pour une très bonne idée sur le moment : le jeune et ambitieux fils du vieux roi déclenche une guerre contre la rébellion chez un voisin méridional déstabilisé. Le fait que les rebelles fussent soutenus par l’Iran rendait l’aventure encore plus attrayante. L’armée saoudienne étalait fièrement ses nouvelles armes – valant de nombreux milliards de dollars. MbS avait un puissant rival, plus âgé, au ministère de l’Intérieur, et il voulait montrer ce dont il était capable tant à son rival qu’à ses propres supporters. D’après les plans, la victoire allait être rapide, sans appel, donc propre à confirmer sa stature de meneur de troupes, le plaçant dans la lignée du grand roi guerrier et fondateur de l’Arabie moderne, son grand-père Ibn Saoud.

MbS ne tint pas compte du fait que les Houthis constituaient un précieux tampon protecteur contre la vraie menace pour la Maison Saoud : al-Qaïda dans la péninsule arabe (AQPA). Il semble aussi avoir méconnu l’embarras où les tenaces Houthis avaient placé les Saoudiens lors d’une guerre frontalière, à peine quelques années plus tôt. C’était en 2009, lorsqu’ils prirent le port saoudien de Jizan, sur la mer Rouge, et ne le quittèrent qu’en échange d’une substantielle rançon de 70 millions de dollars.

Jusqu’à présent, l’Opération Tempête Décisive n’a rien prouvé du tout. La guerre a traîné en longueur sur près d’une année, plongeant le peuple yéménite dans une misère infinie. Une grande partie des infrastructures du pays a été détruite par d’intenses bombardements aériens, tandis que les Houthis conservent fermement le contrôle de la capitale Sanaa et de l’essentiel du nord. Au sud, AQPA a eu le champ libre. Imperturbable, MbS a juré de continuer, déterminé qu’il est à contraindre les Houthis, par la force des bombes, à venir à la table des négociations.

“Il est très pugnace,” dit Jason Tuvey, économiste pour la zone Moyen-Orient à Capital Economics. Mais Tuvey, comme maints analystes, a été impressionné par la maîtrise dont a fait preuve le prince Mohammed de tous ces problèmes exaspérants de complexité qui empoisonnent l’économie saoudienne. “Sur le front économique, il s’en est très bien sorti. Il a renouvelé la stratégie, il mériterait des éloges pour cela,” dit Tuvey.

Les qualités de son impétueuse nature pourraient être prises en défaut dans le développement de la lutte avec l’Iran pour l’hégémonie régionale. Quand MbS a annoncé la mise en place, mi-décembre, d’un conseil de 34 pays musulmans pour combattre le terrorisme, il visait manifestement l’Iran. Les Iraniens ont vigoureusement appuyé Bachar al-Assad, le président syrien assiégé, tant directement qu’à travers le Hezbollah, une milice que l’Iran a entraînée et armée pendant des années. Les Saoudiens sont résolus à vaincre Assad avant le début de toute négociation de paix en Syrie.

Aujourd’hui, après l’exécution par les Saoudiens du haut dignitaire chiite le cheikh Nimr al-Nimr, la spirale des représailles est enclenchée. Les Iraniens ont permis la mise à sac de l’ambassade saoudienne à Téhéran, et les Saoudiens, de concert avec les autres pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), ont répliqué en rappelant leurs ambassadeurs. La destruction de l’ambassade iranienne à Sanaa, apparemment bombardée, a encore aggravé les tensions.

Dans une lettre ouverte qui a largement circulé l’été dernier, des adversaires du jeune prince au sein même de la famille régnante ont dénoncé son arrogance, allant jusqu’à demander son éviction en même temps que celle de son père et de Mohammed bin Nayef. Mais cet appel n’a pas eu de suite, et MbS continue de surfer sur une crête de popularité en Arabie saoudite. Une question demeure, cependant : jusqu’où son impétuosité naturelle l’emportera-t-elle dans le conflit avec l’Iran ?

On ne peut pas écarter la possibilité que ce jeune et brillant casse-cou, qui se coule dans le moule grand-paternel de guerrier sunnite, ne soit en train de soupeser les options, d’envisager une frappe militaire contre l’Iran chiite – une effrayante perspective pour cette région déjà déchirée par la guerre sectaire.

Source : The Independent, le 08/01/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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