mercredi 29 mai 2013

Affaire Tapie : Christine Lagarde a Laché la Sarkozie

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Au lendemain des deux jours d’audition de Christine Lagarde par les magistrats de la Cour de justice de la République (CJR), les langues se délient et les raisons pour lesquelles la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) n’a pas été mise en examen pour « complicité de faux » et « complicité de détournement de fonds publics », mais placée sous statut de témoin assisté, apparaissent plus clairement.
D’abord, Christine Lagarde aurait infléchi sa stratégie de défense et aurait admis que des instructions ont été données dans ce dossier, venant de l’Elysée.
Et puis surtout, selon de très bonnes sources, la déclaration du ministre des finances, Pierre Moscovici, en défense de la patronne du FMI, a lourdement pesé sur la réfléxion des magistrats qui n’ont pas osé prendre une décision de mise en examen pouvant avoir des répercussions planétaires et, éventuellement, entraîner une éviction de Christine Lagarde de ses fonctions à la tête de l’institution financière.


 Le placement de Christine Lagarde sous statut de témoin assisté ne signifie, certes, en rien que la directrice générale du FMI, contrairement à ce qu’elle a suggéré vendredi soir à la sortie de son deuxième jour d’audition, soit tirée d’affaire. Comme nous l’écrivions à la fin des auditions (Lire Lagarde en sursis, Tapie en danger), la différence de situation entre un placement sous statut de témoin assisté et une mise en examen n’est pas considérable.
Le fait que les magistrats aient placé Christine Lagarde sous le premier statut signifie que la justice dispose d’indices suggérant qu’elle aurait pu être complice d’un faux ou d’un détournement de fonds publics. Et s’ils avaient choisi le second statut, cela aurait signifié qu’ils disposaient d'indices, qu’ils estimaient, selon la formule consacrée, « graves et concordants ».
Le placement sous statut de témoin assisté ne marque donc pas la fin des ennuis judiciaires de Christine Lagarde. C’est même tout le contraire : il révèle que des soupçons pèsent bien sur elle et que les magistrats entendent les vérifier. Car, en parallèle à cette procédure judiciaire, trois juges d’instruction enquêtent également sur le scandale Tapie, et les investigations qu’ils conduisent, émaillées de nombreuses perquisitions, viennent alimenter aussi les dossiers de la CJR – paradoxalement, il n’est pas sûr, soit dit en passant, que les magistrats de la CJR renvoient l’ascenseur à leurs collègues qui conduisent cette instruction et les informent des pièces dont ils disposent. Il ne faut donc pas exclure que dans les prochains mois, si les soupçons des magistrats se confirment, ils décident finalement de mettre Christine Lagarde en examen.
Voici donc la première raison de la décision des magistrats de placer la patronne du FMI seulement sous statut de témoin assisté : ils ont du temps devant eux et ont choisi de poursuivre leurs investigations avant de préciser ou non les charges qu’il retiennent contre l’ancienne ministre des finances.

Divergences de vue au sein de la Commission d'instruction

Mais il y a une deuxième raison qui explique leur choix — et c’est celle-là, selon de très bonnes sources, qui a été déterminante : les magistrats ont définitivement renoncé à mettre Christine Lagarde en examen à la suite des propos de Pierre Moscovici en sa défense.
Concrètement, Christine Lagarde a été interrogé pendant ces deux jours par les trois membres titulaires de la Commission d’instruction de la CJR, le président Michel Arnould, assisté deux autres magistrats, Didier Guérin et Dominique Guirimand  - toute l’organisation de la CJR et sa composition est présentée ici sur le site de la Cour de cassation. Elus à ces fonctions par la Cour de cassation dont ils sont membres, ces trois hauts magistrats sont sans étiquette politique ou syndicale connue et instruisent collégialement, un peu à la manière de juges d’instruction co-désignés.

Or, selon nos informations, ces trois magistrats n’avaient pas tous le même sentiment sur le sort judiciaire qu’il fallait réserver à Christine Lagarde. Avant que les auditions ne commencent et sous réserve que les réponses de Christine Lagarde ne modifient pas en profondeur leurs premières intuitions sur le dossier, le président de la Commission d’instruction était favorable à ce que l’ex-ministre des finances soit placée sous statut de témoin assisté, alors que les deux autres magistrats pensaient qu’ils disposaient assez d’indices graves et concordants pour la mettre en examen.
Le mercredi 22 mai en milieu de journée, c’est-à-dire la veille du premier jour d’audition de Christine Lagarde devant la CJR, le ministre des finances, Pierre Moscovici, s’est cru autoriser à dire par avance dans Le Monde (daté du lendemain, 23 mai) qu’il apportait son soutien à Christine Lagarde, quoi qu'il arrive (Lire Christine Lagarde, au mépris de la démocratie).
Sans même se soucier de savoir les charges précises que les magistrats pourraient retenir contre la patronne du FMI, sans prendre le temps d’en apprécier la gravité, il a fait la déclaration que l’on sait : « Mme Lagarde garde toute la confiance des autorités françaises dans ses fonctions à la tête du FMIJe le redirai si nécessaire, par moi-même ou par l'intermédiaire du représentant de la France au board du Fonds. ».
Cette déclaration a eu deux effets. L’un public, l’autre confidentiel. L’effet public est connu : les propos de Pierre Moscovici ont suscité de légitimes politiques car ils ont suggéré que la France n’entendaient en rien défendre les règles éthiques qui codifient le fonctionnement du FMI et qui ont été consignées dans le contrat de travail de Christine Lagarde.
L’effet confidentiel s’est déroulé dans l’enceinte feutrée de la CJR et de sa Commission d’instruction : son président a ainsi été conforté dans sa position et a fait valoir qu’après des propos aussi tranchés du ministre des finances, il était vraiment difficile de prendre le risque de déstabiliser le FMI. En quelque sorte, la sortie inopinée de Pierre Moscovici, à quelques heures du début des auditions, a été interprétée par les magistrats comme un rappel à l’ordre solennel ; et les magistrats n’ont donc pas finalement osé défier l’éxécutif.
Pierre Moscovici va donc s’exposer à une deuxième controverse : pourquoi a-t-il jugé opportun de faire cette déclaration juste avant que les auditions ne commencent ? Et n’était-elle pas faite délibérément pour appeler les magistrats à la modération ? En clair, le ministre des finances n’a-t-il pas tenté, d'une certaine manière, de faire pression sur la justice ?

Claude Guéant dans le collimateur

Et puis, une troisième raison aurait pu peser sur la décision des magistrats. Selon des informations de très bonnes sources — mais que nous ne sommes pas encore parvenus à recouper, un source évoquant une « information sans fondement » —, Christine Lagarde aurait aussi légèrement infléchi sa stratégie de défense.
Jusqu’à ces derniers jours, elle a en effet toujours juré ses grands dieux qu’elle n’avait jamais reçu la moindre instruction dans le dossier Tapie et qu’elle avait toujours pris de son propre chef les décisions qui lui semblaient les plus sages. Or, cette version de l’histoire est contredite par de très nombreux indices – nous en avons fourni de nombreux dans nos propres enquêtes, établissant le rôle joué en particulier par Claude Guéant, à l’époque secrétaire général de l’Elysée (Lire Scandale Tapie: pourquoi Guéant est visé par l'enquête)


Selon une très bonne source, Christine Lagarde aurait donc fini par admettre que des instructions ont été données dans ce dossier, et pas seulement les siennes. Elle aurait rappelé que ce n’est pas elle, mais son prédécesseur à Bercy, Jean-Louis Borloo, ancien avocat de Bernard Tapie, qui a lancé l’arbitrage, et cela dès le premier jour de son arrivée au ministère. Mais surtout, Christine Lagarde aurait admis que les véritables décisions venaient de l’Elysée, et tout particulièrement du bureau de Claude Guéant.

Or, pour que des charges de complicité de faux ou de complicité de détournement de fonds publics puissent, en droit, être retenues contre Christine Lagarde, il faut que l'intentionnalité du délit soit établie. Ce qui n’est à l’évidence pas le cas si les instructions venaient de plus haut que Bercy. Et ceci aurait donc pesé aussi dans la décision des magistrats de placer Christine Lagarde sous le statut plus clément de témoin assisté.

Ce changement de stratégie de défense de la patronne du FMI, son avocat, Me Yves Repiquet l’a d’ailleurs suggéré d’une phrase révélatrice vendredi soir. Prié de dire, sur BFM-TV si sa cliente agirait aujourd’hui de la même façon qu’en 2007 ou 2008, il a eu cette formule elliptique : « Compte tenu des éléments dont elle disposait à l’époque, oui » ; en revanche, à la lumière des éléments dont elle dispose désormais, « pas forcement maintenant ».
Ce changement de ton de Christine Lagarde pourrait avoir deux explications. D’abord, elle considèrerait qu’il n’y a aucune raison qu’elle endosse des responsabilités prises par d’autres. Et puis aussi, il y a une explication psychologique : selon une personne qui connaît très bien la patronne du FMI, celle-ci a très peu apprécié une déclaration publique passablement cavalière de Claude Guéant voici quelques semaines, assurant qu’il n’avait joué strictement aucun rôle dans l’affaire Tapie et que tout avait été décidé à Bercy.

On peut d’ailleurs observer que Stéphane Richard, l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde et actuel patron de France Telecom, a lui aussi opté pour une même stratégie de défense. Pourtant longtemps très proche de Nicolas Sarkozy, il n’entend pas endosser d’autres responsabilités que les siennes. En quelque sorte, on devine donc deux camps qui se dessinent : le camps des anciens de Bercy sous le quinquennat précédent ; et le camps de l’Elysée, avec Claude Guéant, et en arrière-fond, Nicolas Sarkozy.

Et cette possible fracture est peut-être prometteuse de révélations futures et d’avancées de la justice.




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