mercredi 14 novembre 2012

Au Japon les promesses de décontamination se heurtent à la réalité de la radioactivité



20 mois après la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi, alors que plusieurs dizaines de milliers de personnes protestaient de nouveau hier à Tokyo contre la remise en service précipitée des réacteurs d’Ohi, un reportage de la NHK diffusé le 9 novembre nous informait sur les travaux de décontamination effectués à Minamisoma, une ville située partiellement hors de la zone d’interdiction mais cependant contaminée à la hauteur de 15 à 20 mSv « annuels ».

Le grand écart Japonais : des rodomontades high-tech au papier essuie-tout et à la tronçonneuse

Souvenez-vous, il n’y a pas si longtemps, le Japon espérait mettre au point rapidement de « nouvelles » techniques de décontamination high-tech. Sur le terrain, 20 mois après la catastrophe, la réalité est bien différente : dans les municipalités contaminées, les employés – et parfois les bénévoles – chargés de ce travail pas comme les autres se sont finalement aperçus que la « décontamination traditionnelle » basée sur l’usage de nettoyeurs à haute pression ne faisait que temporairement déplacer le problème des toits vers les gouttières, des gouttières vers les descentes, des descentes vers les jardins, des jardins vers les fossés, rivières et fleuves. Contrairement aux idées reçues, on ne se débarrassait pas si facilement de la contamination !

Dans la partie de Minamisoma non évacuée, les débits de dose atteignent 2 µSv/h (17 mSv/an)

Le reporter NHK se trouve à Minamisoma au niveau de l’une de ces zones dépassant 1µSv/h (05:00). Il précise que les résultats de la décontamination – malgré des efforts conséquents – n’ont pas abouti aux résultats escomptés.

Good morning minamisoma !

La radio locale MinamiSoma Disaster FM diffuse en début de programme les niveaux journaliers de radioactivité : entre 1.5 et 3 µSv/h, le tout ressemblant furieusement à une diffusion chiffrée de la célèbre radio Russe UVB-76 mais sur un fond de musique douce (05:40). A entendre cette diffusion, à voir les images sereines du reportage incrustées sur les chiffres qui défilent, personne ne penserait à l’idée d’un Japon post-apocalyptique, mais que seront devenus cette voix neutre, ce cycliste indifférent, les enfants joyeux des écoles contaminées dans 5 ans, 10 ans, 20 ans ?

Décontamination de l’école élémentaire de Ishigami 1 : 13 Millions de dollars (?)

Située au-delà de la zone des 20 km, la partie de Minamisoma se trouvant au pied des montagnes a été extrêmement affectée par la contamination tout en se situant légèrement en-deçà de la limite d’évacuation fixée par les autorités nationales à 20 mSv/an.
Les autorités municipales ont ainsi été forcées de tenter de décontaminer les équipements publics et en priorité les écoles, puisque l’on sait que les enfants sont bien plus affectés par la radioactivité que les adultes.
L’objectif affiché était de diminuer la dose de dix à vingt fois en la ramenant au seuil annuel de 1 mSV 1. En apparence, l’objectif semble avoir été rempli au niveau de l’école (07:00), mais à quel prix, et que deviennent les énormes quantités de terre et de gazon contaminés ôtées du sol ?

Première surprise : les habitants décontaminent eux-mêmes les abords de l’école

Malgré ces investissements astronomiques, ce sont les habitants eux-mêmes qui ont procédé à la décontamination des rues et chemins d’accès à l’école. On retrouve ici (07:20) la célèbre – et bientôt obsolète ? – technique du karcher qui pousse la radioactivité « ailleurs ».

Deuxième surprise : le compte n’y est pas !

Alors que le dosimètre installé dans l’école affiche un débit de dose ambiante presque trop beau pour être vrai (un décor de cinéma ?), les habitants-décontaminateurs de Fukuno doivent bien se rendre à l’évidence : un simple nettoyage superficiel ne suffit pas car la radioactivité se reconcentre dès que le sol redevient naturel (le karcher ne fait que pousser les radionucléide vers les abords du chemin bétonné emprunté par les écoliers). 1.3 µSv/h = 11 mSv / an (07:40).

Troisième surprise : une vitesse de « décontamination » estimée à 10 mètres de trottoir à l’heure

Un autre problème s’est donc rapidement révélé : passée la décontamination initiale – que chacun pensait finale – les effectifs des équipes de décontaminateurs-amateurs se sont rapidement dégonflées, allez savoir pourquoi ! C’est un fait : la tâche est immense et les volontaires s’épuisent rapidement, mal récompensés pour un chantier très mal estimé initialement, sans même évoquer les risques que cette population affronte avec des moyens ridiculement peu appropriés comme les masques jetables et les habits de jardinage…

Quatrième surprise : même à l’intérieur des écoles, des points chauds subsistent

Notre ami T. Kodama visite l’une des écoles récemment décontaminées et s’aperçoit qu’il subsiste des points chauds sous la toiture, particulièrement des conduites et gouttières qui ont reconcentré la radioactivité poussée de la toiture (10:48).
Dans la salle de sports, un inoffensif aspirateur se révèle désormais une source radioactive menaçante : 2 µSv/h (12:00). Nous n’osons réitérer la comparaison entre des filtres d’aspirateur ou de climatiseur etdes poumons humains respirant des radionucléides bien plus fréquemment que la femme de ménage ne passe l’aspirateurKodama avait crié, nous crions avec lui : personne d’autre ne semble avoir pris conscience de la gravité de la situation sanitaire dans les zones proches non-évacuées !
Le Dr. Kodama reste cependant optimiste en estimant que 3 campagnes de décontamination devraient avoir raison des ultimes points chauds et redonner un aspect presque normal aux écoles. Presque…

Cinquième surprise : la tronçonneuse, outil ultime de décontamination ?

Visitant des habitations de Minamisoma, le Dr Kodama a défini que les particules radioactives n’étaient pas tant concentrées dans les habitations elles-mêmes – ce qui est rassurant – mais semblaient provenir de « plus haut ». Une fois à l’extérieur, Kodama et ses assistants ont constaté que la source radioactive provenait en fait des grands arbres bordant l’habitation et qui présentaient un débit de dose de 1.5 µSv/h relevé au niveau du sol.
Ces cèdres magnifiques (Igoune) 2 avaient protégé les habitations durant des dizaines voire des centaines d’années et s’avéraient maintenant subitement menaçants et dangereux, du simple fait d’une exposition aux effets obscurs d’un concentré de prétention, de bêtise et d’avarice humaine appelé énergie électronucléaire. Le sort des cèdres était scellé : si les arbres avaient – peut-être temporairement – résisté à la radioactivité, ils ne résistèrent pas longtemps à la tronçonneuse (01:10).

Source : Losing the sheltering trees, NHK, 9/11/12 (vidéo de 49 minutes, anglais)
Japon - En guise de décontamination high-tech, des rouleaux de papier absorbant
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  1. Le seuil maximal ICRP pour la population 
  2. Le cèdre Japonais est plutôt une espèce de cyprès géant atteignant 50 à 60 m 

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