mardi 4 septembre 2012

Ou est la Révolution fiscale promise par le candidat Hollande ?



Avec le discours de politique générale prononcé le 3 juillet devant l’Assemblée nationale par Jean-Marc Ayrault, puis l’examen par cette même Assemblée depuis le début de cette semaine du projet de loi de finances rectificative, l’ambition fiscale du gouvernement socialiste est maintenant clairement affichée. Annulation des mesures fiscales injustes prises par Nicolas Sarkozy lors du précédent quinquennat en faveur des contribuables les plus fortunés ; relèvement de l’impôt sur le revenu, avec la création d’un taux à 45 % et d’un autre à 75 % ; possible relèvement de la Contribution sociale généralisée (CSG) dans le cadre d’un projet de diminution du coût du travail.

Il reste pourtant encore une inconnue : nul ne sait encore si le gouvernement honorera la promesse faite par François Hollande de conduire une véritable « révolution fiscale », dont la mesure phare devait être la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, en vue de donner naissance à un nouvel impôt général progressif sur tous les revenus. Pour l’heure, le projet ne figure pas dans les chantiers annoncés par le gouvernement. D’où cette interrogation : les socialistes vont-ils ou non renoncer au projet de reconstruire un véritable impôt citoyen en France ?

Il faut, certes, donner acte au gouvernement qu’il a commencé à tenir une bonne partie de ses promesses fiscales et que, sitôt constitué, il s’est en particulier attelé à la remise en cause des dispositions les plus contestées et les plus injustes prises par Nicolas Sarkozy. Dans le projet de loi de finances rectificative pour 2012 (il est ici), pêle-mêle, on trouve ainsi le rétablissement des droits de succession – que la droite avait fortement allégés au profit des plus riches ; le relèvement du seuil d’imposition de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – qui avait connu le même sort – et la création d'une surtaxe temporaire ; ou encore l’annulation du relèvement de la TVA qui devait entrer en vigueur le 1er octobre sous le prétexte d’un allègement du coût du travail et qui, compte tenu du caractère dégressif de ce prélèvement, aurait pesé davantage sur les bas revenus que sur les hauts.

Et, au delà, on connaît maintenant avec une relative précision les autres grands chantiers fiscaux qui commenceront à voir le jour avec le projet de loi de finances pour 2013, et seront donc dévoilés à la fin de cet été ou au début du mois de septembre, en prévision du débat parlementaire de l’automne prochain. Ils porteront en particulier sur la création de deux nouveaux taux d’imposition pour l’impôt sur le revenu, l’un à 45 % pour les revenus imposables supérieurs à 150 000 euros et l’autre à 75 % pour les revenus imposables supérieurs à 1 million d’euros. De même, le gouvernement a pris l’engagement de remettre progressivement en cause les « niches fiscales » les plus choquantes, celles qui profitent pour l’essentiel aux plus hauts revenus sans avoir d’effets économiques avérés ; et d’avancer vers un alignement de la fiscalité du capital, trop longtemps avantagé, sur celle pesant sur le travail, trop longtemps maltraité.

En bref, il faut en donner acte au gouvernement : il s’est mis au travail avec le souci affiché d’honorer les engagements du candidat François Hollande qui, au moins sur le front de la fiscalité, étaient clairement ancrés à gauche. Au cours de ces deux premiers mois, tout juste y a-t-il eu une embardée imprévue : en annonçant, en ouverture de la Conférence sociale, que la baisse du coût du travail devrait être l’une des principales priorités du gouvernement, et en suggérant que la CSG pourrait être relevée – on parle de deux à quatre points –, François Hollande a créé la surprise car, jusque-là, seul son rival à l’élection présidentielle, le candidat sortant comme il l’appelait, avait enfourché ce cheval de bataille du coût du travail.



Le face-à-face Hollande-Piketty
Reste, pourtant, cette inconnue, qui est décisive : le projet le plus essentiel, celui qui prévoyait la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, le gouvernement compte-t-il ou non le mettre en chantier ? C’est l’une des surprises de ces dernières semaines : ce projet est passé à la trappe. Dans son discours de politique générale, le 3 juillet, Jean-Marc Ayrault a fixé tous les chantiers du gouvernement pour la durée du quinquennat, mais il n’a fait nulle mention de celui-là. Et aucun ministre ne l’a, non plus, évoqué. Ce qui n’est peut-être qu’une demi-surprise pour qui a bien suivi les échanges, parfois elliptiques, de la campagne présidentielle, mais ce qui serait tout de même une reculade de la part des socialistes.


Que l’on se souvienne des origines de ce débat et de ses divers rebondissements. Avec un petit livre intitulé "Pour une révolution fiscale" , coécrit avec Camille Landais (chercheur au Standford Institute for economic policy research) et Emmanuel Saez (professeur d'économie à Berkeley), Thomas Piketty (professeur à l'École d'économie de Paris et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales), en janvier 2011, a lancé le débat pour une refondation de l’impôt citoyen. Le constat de l’économiste était limpide : compte tenu des dégrèvements et autres abattements dont il a progressivement été truffé, essentiellement au profit des hauts revenus, l’impôt sur le revenu est devenu un gruyère et l’ensemble des prélèvements pesant sur les ménages est maintenant dégressif, c’est à dire pesant plus sur les ménages modestes, alors que depuis la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, la progressivité de l’impôt est un principe au cœur de la République (du fait notamment de l’article 13 de cette Déclaration). À l’appui de sa démonstration, l’économiste a produit un graphique accablant (voir ci-dessous), établissant que l’ensemble des prélèvements (cotisations sociales, CSG, impôt sur le revenu) pesant sur les ménages était assorti d’un taux moyen de 47 %. Mais ce taux baisse à près de 35 % pour les plus hauts revenus. En somme, plus on gagne, moins on est assujetti.



Plutôt que de reconstruire un impôt sur le revenu, progressivement démantelé au fil des ans, l’économiste a donc suggéré de le supprimer purement et simplement et de reconstruire un nouvel impôt général sur tous les revenus, en prenant pour base la CSG, qui a une assiette beaucoup plus large que l’impôt sur le revenu, et en assortissant la CSG de taux d’imposition progressifs – alors que dans l’immédiat, ses taux sont proportionnels.

À l’époque où cette idée a été formulée, elle a fait beaucoup d’émules dans les rangs socialistes. Tant et si bien que le projet socialiste, voté par les militants au printemps 2011, l’a repris à son compte, ou du moins en a recommandé une variante très proche, prévoyant de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG, pour faire du nouvel impôt un prélèvement progressif. Le PS a même fait sien la formule de « révolution fiscale » défendue par Thomas Piketty, et l'a inscrite, noir sur blanc, dans son projet.

À l’époque, François Hollande a lui-même défendu cette solution en en revendiquant pour partie la paternité. Avant même que le projet du PS ne soit adopté, le dirigeant socialiste avait participé à un face-à-face avec Thomas Piketty, organisé par Mediapart , et s’est dit en accord avec ce projet de fusion. Et s’il a exprimé des désaccords avec l’économiste, ils ont porté non sur le principe de la réforme, mais sur certaines de ces modalités.


Hollande - Piketty et la révolution fiscale 1-2 par Mediapart


Hollande - Piketty et la révolution fiscale 1-2 par Mediapart

La reculade de Jérôme Cahuzac
Lors de ce débat, François Hollande a ainsi pris ses distances avec une réforme qui conduirait à une individualisation de l’impôt ou encore à l’instauration de taux d’imposition trop élevés, risquant d’alimenter l’évasion fiscale, mais il a confirmé la nécessité de la fusion.

À ces nuances près, on retrouve donc le projet de fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG dans la plateforme du candidat socialiste (elle est ici), François Hollande, révélée au début du mois de janvier 2012. Ce projet est consigné noir sur blanc et constitue la proposition 14. On y lit ceci : « La contribution de chacun sera rendue plus équitable par une grande réforme permettant la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG dans le cadre d’un prélèvement simplifié sur le revenu (PSR). Une part de cet impôt sera affectée aux organismes de sécurité sociale. »

À l’époque, on est donc invité à comprendre que la « révolution fiscale » est plus que jamais d’actualité. En clair, un nouvel impôt devrait voir le jour, avec une assiette très large, comme celle de la CSG, et des taux d’imposition progressifs qui lui seront appliqués. On pouvait penser qu’en relevant les taux d’imposition au-delà des 41 % à l’époque en vigueur, pour les porter à 45 % ou 50 %, la réforme aurait des effets redistributifs. Beaucoup plus redistributifs qu’en optant pour le statu quo fiscal et en se bornant à relever, même plus fortement, les taux de l’impôt sur le revenu.

Il y avait bien, dans le projet de François Hollande, une petite subtilité d’écriture, mais personne à l’époque n’y avait pris garde. Il était en effet précisé que la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG n’interviendrait pas tout de suite mais seulement « à terme ».

Or, assez vite, on a compris que cette précision n’avait pas été introduite innocemment et qu’elle était lourde de sens. À l’époque, c’est Jérôme Cahuzac, aujourd’hui ministre du budget, qui a fait comprendre l’importance de cette nuance. Invité le 7 février au micro de France Inter, il a fait comprendre que la fameuse réforme ne verrait pas forcément le jour.

Voici précisément ce qu’il a dit ; c’est à écouter à partir de 6’45’’ :


Jérôme Cahuzac par franceinter



En résumé, il a posé de nombreuses conditions au lancement de cette révolution fiscale, faisant valoir que le projet d’une CSG progressive avait déjà été censuré au début des années 2000 par le Conseil constitutionnel et qu’un tel prélèvement à la source, induit par la réforme, ne verrait le jour qu’ultérieurement, « si les circonstances le permettent ».

Après cette formule en forme de douche froide, on connaît la suite des évènements. Plutôt que de confirmer le projet d’une fusion, François Hollande – sans jamais dire que la réforme était enterrée – a envoyé des signes qui pouvaient suggérer que soudainement, il était moins empressé de… faire la révolution. Et en tous cas, il a fait de nouvelles préconisations qui semblaient tourner le dos à cette fusion impôt sur le revenu.

Cela a d’abord été le cas dans les semaines qui ont suivi, au cours de la campagne présidentielle. François Hollande a en effet sorti de son chapeau l’idée de création d’un nouveau taux à 75 % pour l’impôt sur le revenu, applicable aux revenus imposables supérieurs à un million d’euros  – réforme qui figurera donc dans le projet de loi de finances pour 2012. On comprend la logique de cette disposition : hautement symbolique, elle veut accréditer l'idée auprès de l’opinion que le gouvernement veut taxer les grandes fortunes. Mais en réalité, comme l’impôt sur le revenu dispose d’une assiette trouée, elle ne rapporte quasiment rien et devrait ne concerner que 2 000 à 3 000 contribuables pour un gain de seulement 200 millions d’euros. Il ne faut pas se laisser abuser par le caractère spectaculaire de cette mesure : un taux à 50 % sur un prélèvement nouveau, issu de la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, serait autrement plus redistributif.

Les dangers de la « flat tax »
L’annonce de la création d’un taux à 75 % sur un impôt sur le revenu inchangé, ou alors réformé à la marge, vient donc accréditer l’idée que la révolution fiscale va passer à la trappe. Car sinon, le gouvernement aurait eu à cœur de dire que ce taux de 75 % ne serait que provisoire, avant la fusion des deux impôts, assorti d’un barème d’imposition montant moins haut, mais ayant des effets plus massifs en terme de réduction des inégalités.

Le second indice d’un ajournement de cette révolution fiscale, c’est évidemment ce projet de réforme que François Hollande vient de sortir de son chapeau et qui vise à réduire le coup du travail. Car en matière de fiscalité, on ne peut naturellement pas courir après deux lièvres à la fois. Simple question de bons sens : compte tenus des transferts de revenus que cela peut induire et donc des risques politiques qu’il faut bien mesurer, on ne peut pas, tout à la fois ouvrir un premier chantier visant à fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG ; et un second chantier visant à réduire certaines cotisations sociales à la charge des employeurs, par exemple les cotisations familiales, et relever à due concurrence de deux à quatre points, la CSG. Entre ces deux chantiers, il faut choisir.

Or, précisément, tout est là : en annonçant que la question de la compétitivité des entreprises et celle du coût du travail figuraient parmi les priorités du gouvernement, François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont suggéré à demi-mot que la révolution fiscale a de moins en moins de chance de voir le jour. Ce qui constituerait une grave reculade. Car, si la CSG monte encore en puissance en gagnant de deux à quatre points supplémentaires, et si elle s’affiche de plus en plus nettement comme le premier des prélèvements directs sur les ménages (89 milliards d'euros de recettes attendues pour 2012), loin devant l’impôt sur le revenu (59 milliards d'euros), le paysage fiscal français serait en effet très différent de celui qui avait été promis par les socialistes.

Quand la CSG a vu le jour, en 1991, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs bien pris soin de le souligner : il avait relevé que, toute proportionnelle qu’elle soit, la contribution n’était pas inconstitutionnelle, mais il avait souligné qu’il ne fallait pas que ce nouveau prélèvement finisse par prendre trop de place et remette en cause le principe de progressivité, qui, lui, a valeur constitutionnelle.

Ce serait le principal danger d’un abandon de ce projet : au lieu de se doter d’un impôt moderne, prélevé à la source, progressif, et donc respectueux des valeurs de la République, la France avancerait, somme toute, vers un nouveau prélèvement d’inspiration plutôt anglo-saxonne. Une sorte de « flat tax » qui ne dirait pas son nom. Plutôt que de révolution fiscale, mieux vaudrait-il alors parler de contre-révolution…

Mais où est donc passée la révolution fiscale ? - Le blog de DA.Estérel 83

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