lundi 6 août 2012

Taisez vous Henri Levy !

Selon que vous serez de Palestine ou de Syrie, Bernard Henri sera plus ou moins votre ami…

Bernard-Henri Lévy - le fameux philosophe - est « déçu par François Hollande », et cela fait pour la presse dominante, dans une période aoûtienne où l’info se raréfie, un sujet d’importance.
D’où vient cette déception de Bernard-Henri Lévy ? Elle vient de ce que François Hollande, beaucoup  « too passive » , n’est pas encore parti en guerre contre la Syrie, comme le lui a pourtant plusieurs fois demandé Bernard-Henri Lévy – qui a, semble-t-il, de plus en plus de difficulté à rester un peu longtemps sans exiger que la chasse française s’engage dans quelque nouvelle expédition contre des contrées arabiques.
Par contraste : le prédécesseur de François Hollande, Nicolas Sarkozy, s’est montré, en son temps, estime Bernard-Henri Lévy, beaucoup plus raisonnable. Puisqu’en effet, quand Bernard-Henri Lévy lui a demandé de partir en guerre contre la Libye, il a tout de suite obtempéré, en disant : on s’en fout, si d’aucuns – genre les Chinois, ou les Russes – profitent qu’ils ont un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies pour s’opposer à cette intervention, ce qu’on fera, s’ils osent, c’est qu’« on passera outre ». (Parce que bon, c’est pas non plus comme si nous allions nous laisser dicter notre conduite par des extrêmorientaux, hein, Bernard ?)
Et là, pour la Syrie : François Hollande doit donc faire, explique Bernard-Henri Lévy, exactement comme a fait Nicolas Sarkozy pour la Libye. (Ou sinon, il faudra qu’il s’habitue à vivre avec le pénible fardeau d’avoir gravement déçu un maître penseur.) Plus précisément : François Hollande doit « acter l’échec lamentable des Nations Unies », qui ont été incapables de circonvenir Bachar el-Assad. Puis il doit « forger », pour attaquer ledit, « une alliance ad hoc avec la Ligue arabe et cette fois les Turcs »
Et certes : il se trouvera probablement des sceptiques – ou des munichois – pour considérer que le déclenchement d’une guerre violant délibérément la charte des Nations Unies est une affaire complexe, où d’autres critères que les déclamations de Bernard-Henri Lévy doivent sans doute être pris en considération.
Mais en vrai, pas du tout, car « les plans d’attaque sont prêts », assure l’intéressé, qui semble donc avoir des entrées dans nombre d’états-majors, dont le turc, qui n’est pourtant pas exactement un moulin un vent.

Des alliés progressistes
Au delà de ce qu’elle révèle – ou confirme – de sa complexion, l’intéressant, dans cette prédication de Bernard-Henri Lévy, est notamment dans le choix des alliés dont la France doit, de son point de vue, quêter le renfort, pour mieux guerroyer contre la Syrie.
Qu’est-ce que la Turquie, en effet ?
La Turquie est le pays qui, depuis de longues décennies, perpètre, contre les Kurdes, des exactions bien plus atroces encore, par leur ancienneté et leur indicible violence – des armes chimiques y ont été utilisées - que celles que Bachar el-Assad inflige depuis quelques mois aux révoltés syriens.
Et quant à la Ligue arabe : elle réunit un certain nombre d’États où le respect d’autrui ne compte pas forcément au nombre des priorités premières. Comme, par exemple, Bahreïn, où le gouvernement ne dédaigne point de réprimer son opposition dans le sang, exactement comme à Damas - mais avec le renfort militaire, en forme de supplément d’âme, de cette autre exemplaire monarchie progressiste qu’est l’Arabie saoudite. 
Contre Bachar el-Assad : Bernard-Henri Lévy demande donc l’« intervention urgente », au nom – car il ose tout – de la « responsabilité de protéger », de pays dont les gouvernements ont pour caractéristique commune d’user contre leurs populations des mêmes horribles méthodes que le chef de l’État syrien.

La méthode à Bernard
Suivant cette aune – modélisée pour la postérité par Bernard-Henri Lévy : d’autres peuplades des mêmes régions où il prêche depuis bientôt deux ans « la guerre sans l’aimer » devraient pouvoir compter, désormais, qu’il les soutiendra, si elles quêtent le soutien de secouristes à démocratie variable.
Les Palestiniens, par exemple, qui endurent depuis plus d’un demi-siècle des atrocités du même type – mais beaucoup plus anciennes, donc – que celles que perpètre depuis quelques mois le régime de Damas, et qui ont payé à ces exactions un gigantesque tribut, devraient pouvoir appeler au secours Téhéran, où le respect des droits de l’homme reste certes, comme à Manama (Bahreïn), balbutiant (en même temps que soumis, comme en Arabie saoudite, à de râpeuses considérations religieuses), mais où l’on brandit la même volonté de sauver les Cisjordaniens et les Gazaouis que celle dont Bernard-Henri Lévy témoigne en faveur des Damascènes, lorsqu’il exhorte François Hollande à attaquer la Syrie.

La philosophie est deux arts
Mais en vérité : le philosophe sait se montrer extrêmement sélectif, dans le choix des Arabo-musulmans qui méritent qu’il appelle publiquement à leur nécessaire et prompte protection – et de ceux dont les souffrances le mobilisent moins.
Les Palestiniens appartiennent ainsi à la seconde catégorie : ils « vivent depuis des décennies dans une situation insupportable et arbitraire », où ils sont « confrontés à la violence » et victimes de « la véritable politique de prédation menée par les gouvernements israéliens qui se sont succédé », comme viennent encore de le relever la présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, et son homologue du Réseau euroméditerranéen des droits de l’homme.  Mais lorsqu’ils se révoltent contre cette interminable persécution, Bernard-Henri Lévy les tance d’abondance, et les prie, comme en 2009, de se « libérer » plutôt « du Hamas », où sont selon lui leurs « pires ennemis ».
Les « rebelles » Syriens, en revanche, forcent son empathie, même s’ils se laissent aller parfois à de regrettables exubérances : lorsqu’ils procèdent par exemple à des « exécutions » ou à des « règlements de comptes », le philosophe juge bien sûr que c’est tout à fait regrettable, mais que c’est « une autre raison qui rend si urgente l’intervention » de la France (alliée pour la circonstance aux grands humanistes que sont les Turcs et les Saoudiens) en Syrie. 
(Et d’ailleurs : a-t-on jamais fait une omelette sans y casser quelques œufs ?)
Ce curieux penseur varie donc grandement dans sa condamnation des tourments faits à des populations violentées, suivant qu’ils leur sont infligés par Tel-Aviv ou par Damas : cela pourrait presque faire supposer que la philosophie n’est pas seulement, vue par lui, « un art de la guerre » - comme le proclame fièrement le site dédiéau culte de sa personnalité-, mais qu’elle est aussi, certaines fois, celui de la tartuferie.
lun, 06/08/2012 - 11:00

Aucun commentaire: